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14 août 2023 1 14 /08 /août /2023 16:45
Le moulin de Fleury à Montaigu-la-Brisette

Le moulin de Fleury à Montaigu-la-Brisette

Données historiques : Les premières mentions relevées concernant le moulin de Fleury à Montaigu-la-Brisette ne sont pas antérieures à la fin du XVIIIe siècle. Un acte de vente du 4 sept 1781 du domaine voisin de la Préfontainerie fait référence, parmi ses délimitations, au « chemin tendant du presbytaire de Saincte Croix au moulin de Fleury, ce dernier faisant la propriété du sieur de la Porte fils ». Cet acte cite également parmi les terres bornant ledit domaine « le prey de Fleury » ainsi que « deux pièces de terre s’entretantes nommées le Clos de Fleury, situé paroisse de Montaigu, triage de Fleury » (1). Ces différents toponymes sont toujours portés au cadastre actuel, sur le site du moulin et les pièces de terre environnantes.

 

 

Le moulin de Fleury sur le cadastre de 1812

Il est probable que le « sieur de la Porte fils » qui, selon Charly Guilmard, possédait le moulin en 1781 était l’un des membres de la famille des sieurs de la Préfontainerie (dit alors la Pontfontainerie, sur la paroisse de Sainte-Croix-Bocage), domaine entré en leur possession vers 1750, suite au mariage de Pierre Charles Delaporte (bourgeois de Valognes) avec Louis Suzanne Lemagnen, héritière du domaine, que ses ancêtres avaient possédé depuis le Moyen-âge (2).

Les sources écrites postérieures permettent toutefois d’établir que le moulin de Fleury était passé en possession, avant la fin du XVIIIe siècle, du sieur (Louis Bernardin Jacques) Gigault de Bellefonds (1728-1792), détenteur des droits seigneuriaux qui s’exerçaient sur la paroisse de Montaigu. Le plus probable est donc que le moulin Fleury est bel et bien un très vieux moulin seigneurial, sur lequel s’exerçait un droit banal permettant d’imposer des corvées et paiements de taxe aux tenanciers de la seigneurie.

L’on apprend par un dossier d’archives privées que le moulin de Fleury fut fieffé en date du 11 floréal an IX (1er mai 1801) par le dénommé Charles Guillaume Quenault et son épouse Cécile Bernardine Gigault (3) au profit de François Hamel, cultivateur, originaire de Saint-Martin-d’Audouville. Ce document donne description d’un « moulin à eau situé sur la rivière de Sinope, avec deux roues et trois tournants, une salle et grenier dessus ; écurie et étable derrière ledit moulin et un terrain vague ; une autre étable écurie devant ledit moulin ; deux jardins potagers d’environ 7 perches chacun ; deux petites pièces de terre dont une plantée en pommiers séparées par une voye allant dudit moulin à l’église de Montaigu de contenance d’environ deux vergées ; un pré nommé le pré du moulin Fleury de quarante vergées ou à peu près, le tout bien connu dudit Hamel qui entend acquérir ». L’acte original précise que le citoyen Louis Piquet jouissait alors dudit moulin en tant que fermier, « suivant bail en datte du huit vendémiaire an sept » (29 septembre 1798), mais qu’il ne pourrait revendiquer de droit que sur l’un des deux jardins, et que l’acquéreur en serait libéré lors de la prise de possession de son bien, devant intervenir « le huit vendémiaire prochain » (soit le 30 septembre 1801).

L’acte de vente précise aussi que ledit moulin se trouvait encore grevé de rentes, dues à divers particuliers, suite à des concessions antérieures qui en avait été faites par le sieur Gigault de Bellefonds. Cela permet d’établir que le moulin Fleury avait été possession de ce dernier, avant d’entrer dans l’héritage de Cécile Bernardine Gigault, épouse du sieur Quenault (le couple, résidant à Paris est représenté lors de la vente de 1801 par le nommé Adrien Lebourg de Saussemesnil)

Ledit moulin se trouvait aussi grevé d’une rente acquise postérieurement par Eugénie (Jeanne Françoise Julie Euphrasie) Debout, veuve de François Joseph Ropert. Son recouvrement donna lieu en 1834 et en 1855 à des procédures de rachat et amortissement de rentes impliquant la famille Hamel.

L’acquéreur du moulin de Fleury, François Hamel, apparaît cité comme exerçant la profession de meunier dans l’acte de naissance de son fils Jean (François Napoléon), né à Montaigu le 17 mai 1809 de son union avec Marie Fleury (4). Décédé à Montaigu le 18 mars 1810 (à l’âge de 54 ans) François Hamel était né vers 1757, à Saint-Martin-d’Audouville (5).

Jean (François Napoléon) Hamel, qui était donc né en 1809, est à son tour cité comme exerçant la profession de meunier dans des actes 1834 et 1855, ou lors de son mariage avec Marie le Biez, qui eut lieu le 4 février 1847 (6). Son fils Auguste, issu de cette union, naquit le 17 mars 1849 à 2 heures du matin « en sa maison Moulin de Fleury ». Jean Hamel continua probablement à faire fonctionner l’atelier de meunerie jusqu’à sa mort, survenue en 1867.

Auguste (Germain) Hamel, qui succède ensuite à son père en tant meunier du moulin de Fleury, était également agriculteur et devint maire de Montaigu-la-Brisette en 1881. Il fut donc le troisième représentant de la dynastie des meuniers Hamel, et aussi le dernier de son lignage, puisque le moulin de Fleury a cessé de fonctionner après son décès, survenu le 14 mai 1901.

On relève que durant son mandat de maire, d’importants travaux sont engagés pour la restauration de l’église paroissiale, incluant une réfection complète de la nef. La demande de soutien financier adressée à l’état pour conduire ces travaux est appuyée par le préfet qui souligne que « au point de vue politique, la commune est très dévouée au Gouvernement de la République et elle mérite à tous les titres le plus bienveillant appui de l’administration » (7).

On apprend aussi par le Bulletin du Ministère de l’Agriculture de 1895 qu’Auguste Hamel avait par ailleurs « créé à ses frais un champ d'expériences pour la culture du pommier et un autre champ pour les engrais chimiques », et qu’il avait « transformé de nombreux chemins impraticables en lignes vicinales bien entretenues » (8). De son mariage avec Marie-Joséphine Lebunetel, Auguste Hamel eut deux garçons morts en bas âge, et deux filles, dont l’aînée, prénommée Marie Ernestine Palmyre (1874-1953) hérita du moulin Fleury et épousa en novembre 1899 (Paul-Victor) Henri Picquenot, antérieurement établi à Morville, ferme du Vastel. M. Henri Picquenot avait équipé le moulin d’une turbine électrique permettant d’alimenter son exploitation agricole (notamment pour le fonctionnement de barates à beurre et du pressoir à cidre, installé dans l’ancienne écurie) ainsi que la ferme voisine de la Brotinnerie. Il fut – comme son beau-père Auguste Hamel – maire de la commune de Montaigu-la-Brisette, entre 1919 et 1934 (9). M. Jean-Claude Picquenot, actuel propriétaire du moulin de Fleury (né en 1941) est le petit-fils d’Henri Picquenot et de Marie Hamel. Il nous a appris que ce sont ses grands-parents qui firent construire en 1909 la belle maison d’habitation située au-dessus du moulin.

  1. Architecture et environnement :

Le moulin de Fleury est situé sur l’une des extrémités orientales de la commune de Montaigu, sur la rivière de Sinope et en limite de l’ancienne paroisse de Sainte-Croix-Bocage, rattachée en 1818 à Teurtheville-Bocage. La Sinope est un fleuve côtier d’une longueur de 18.3 km qui prend sa source au Heau des Marests à Montaigu-la-Brisette, puis traverse plusieurs communes (St-Germain-de-Tournebut, Ozeville, Teurthéville-Bocage, Videcosville, Octeville-l’Avenel, Vaudreville, St-Martin-d’Audouville puis Lestre), avant de se jeter dans la mer à Quinéville. Dans sa traversée de Montaigu, la Sinope est grossie par le ruisseau des Becquets, la source du presbytère, celle de la Bellevillerie, la Fontaine du Val ou « au Vage », et le ruisseau de la Couldre. Autrefois la Sinope faisait tourner plusieurs moulins, dont un moulin à tan, dont il ne reste plus rien, et les moulins de Bardet (de son embouchure à sa source, la Sinope faisait tourner 28 moulins).

La prise d’eau du bief qui alimentait le moulin se situe à environ 500m en amont, sur le cours descendant de la Sinope, peu avant que celle-ci ne rejoigne la Couldre qui arrose le fond de la vallée. Une retenue de stockage d’eau, équipé d’un vannage toujours en place, est placée juste au-dessus, qui baignait le pignon nord de la maison Picquenot et permettait d’en alimenter le lavoir.

Au mur-pignon nord de l’édifice sont visibles les deux ouvertures circulaires qui qui servaient à loger les deux arbres de rotation des roues activant les trois tournants mentionnés dans l’acte de vente de 1801. La topographie indique que celles-ci étaient mû par une chute d’eau venant les percuter par l’arrière. L’un des arbres moteur, encore sain, a été remployé pour renforcer la charpente de l’édifice. La chambre de moûte est inscrite dans le même volume que l’habitation voisine, qui présente encore des ouvertures (porte à arc cintré et piedroits chanfreinés, fenêtre à traverse médiane et petits-jours chanfreinés) et une cheminée en place, cette dernière datable du milieu du XVe siècle environ.

Mur pignon nord du moulin

Le cadastre de 1812 montre que le moulin de Fleury était déjà associé à cette date aux trois autres bâtiments qui l’environnent aujourd’hui. L’un à usage de remise et d’écurie, avec fenil à l’étage, semble avoir également servi de pressoir à cidre, ainsi que l’indiquent les vestiges d’une maie et des cuves. L’aile nord de bâtiment, jointive au coursier du moulin, est formée d’un simple appentis qui semble avoir abrité deux burets à cochon. La maison d’habitation placée sur l’arrière du moulin était destinée au logement du meunier. C’est là que résidait la famille Hamel/Picquenot avant la construction d’une plus vaste demeure en 1909 (supra).

Un puits couvert en pierre, aujourd’hui recouvert de végétation, se trouve sur l’arrière du moulin, en bordure de route. Une ancienne boulangerie occupe la parcelle située en face de l’actuelle « maison de maître », jadis à usage de pépinière et de verger, de l’autre côté de la route départementale.

Bâtiment de l’ancien moulin, état actuel (2023)

J. Deshayes/Pays d'art et d'histoire du Clos du Cotentin/Août 2023

Avec de chaleureux remerciements à M. J.C. Picquenot pour ses nombreux apports documentaires

Notes :

[1] Charly GUILMARD, La Préfontainerie (Teurtheville-Bocage), Valognes, 2008, p. 16-17.

[2] La première attestation de la famille Lemaignen remonte en l’an 1400. En 1646 François Le Maignen est le premier à s’intituler « sieur de Pontfontaine ». Noter qu’une famille de Fontaines possédait des terres à Teurtheville aux XIIIe /XIVe siècle, ainsi qu’une part des droits sur l’église (cf. AD.50, H. 779, 1221, charte de Jean de Fontaines (de Fontibus) chevalier et de ses frères cadets Robert et Pierre de Fontaines faisant donation de rentes à l’abbaye de Blanchelande ; H. 781 pour droits de patronage).

[3] Mariés en 1793 ; le sieur Quénault serait un ancien prêtre « défroqué ».

[4] Données issues des registres d’état civil de la paroisse, puis commune, de Montaigu, conservés aux archives départementales de la Manche (accessibles en ligne). Notons que le second prénom de « Napoléon » donné au nouveau-né est sans doute indicatif des sympathies politiques du meunier François Hamel.

[5] Il était lui-même le fils de Jean-François Hamel et de Jeanne François Codabey, mariés en 1798 à Saint-Martin-d’Audouville.

[6] L’acte de mariage précise bien que « Jean Hamel meunier âgé de 37 ans né en ce lieu le 17 mai 1809 » était le fils de feu François Hamel, « décédé en ce lieu le 17 mars 1810 » et de Marie Fleury (née à Octeville-l’Avenel c. 1772, décédée à Montaigu le 2 avril 1845 à l’âge de 73 ans). Parmi les témoins de ce mariage figure Charles Roblot, instituteur. Marie le Biez, fille de feu Victor le Biez et de Jeanne Touraine, était âgé de 21 ans lors de son mariage.

[7] Dr. Michel GUIBERT, Voyages archéologiques dans la Manche (1818-1820), vol. I, Saint-Lô, 1999, p. 214.

[8] 14e année, n°1, mars 1895, p. 18.

[9] De même que le sera son fils, Henri Bienaimé Auguste Clément Picquenot, né à Négreville le 10 juillet 1909 et mort à Cherbourg-Octeville le 7 septembre 1996, maire de Montaigu de 1959 à 1989.

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