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5 septembre 2012 3 05 /09 /septembre /2012 15:21

A l’échelle du Cotentin, l’état actuel des connaissances disponibles concernant les enduits de façade anciens demeure malheureusement extrêmement lacunaire. Archéologiquement, il existe pourtant dans cette région des arguments assez fiables pour en faire remonter la tradition pour le moins  jusqu’au début du XIIIe siècle. Plusieurs édifices religieux de cette période (chœurs d’Yvetot-Bocage et de Picauville, nef de Quettehou …) montrent en particulier un contraste très net entre la partie supérieure des murs, intégralement édifiée en belle pierre de taille, et la partie basse des maçonneries, simplement formée de petits moellons irréguliers. Un tel contraste nous conduit à penser qu’un enduit couvrant se substituait initialement à la pierre de taille sur le bas des murs et faisait, pour ainsi dire, illusion de continuité. A Teurtheville-Bocage - autre église gothique datant de la première moitié du XIIIe siècle - les murs du chevet conservent encore aujourd’hui un enduit extérieur en faux appareil de petit module formant liaison entre un soubassement appareillé en pierre de taille et l'appui des fenêtres. Sans remonter lui-même au moyen-âge, ce revêtement mural est probablement conforme aux traditions ancestrales des maçons du Cotentin.

Animation-4347.jpg

Teurtheville-Bocage, détail de l'enduit couvrant du mur de chevet

Il faut ensuite, à ma connaissance, attendre les XVIe et XVIIe siècles, pour rencontrer quelques surfaces résiduelles d’enduit subsistant sur une poignée d’édifices. Le plus ancien de ces exemples est celui du manoir d’Auberville à Joganville, où subsistent en façade du logis Renaissance édifié vers 1580, des traces d’un enduit blanc en faux appareil à doubles traits incisés, formant des bordures initialement revêtues d’une couleur rouge. Sur la tour d’angle flanquant la façade, ce décor était enrichi à mi-hauteur d’un bandeau en dent de scie. Restitué dans son éclat d'origine sur l'ensemble de cette vaste façade, ce décor devait je l'imagine produire un effet tout à fait saisissant !

Joganville, Auberville, détail d'enduit polychrome sur la tour d'angle orientale

Joganville, Auberville, enduit incisé en faux appareil de la façade sud. Noter le raccord entre la surface ornée de "fausses pierres", en partie supérieure, et le solin en pierre de taille formant soubassement.

A la différence des enduits postérieurs « au clou », que l’on rencontre en Cotentin à partir de l’extrême fin du XVIIe siècle et durant tout le XVIIIe siècle, les enduits d'époque Henri IV/Louis XIII sont généralement fidèles à la tradition des surfaces décorées en « calepinage » de faux appareil. Au manoir de la Luthumière à Brix, les quelques pans d’enduit ocre datant du milieu du XVIIe siècle conservés sur la façade postérieure montrent ainsi un faux appareil de gros module dont le tracé était rehaussé d'épais traits blancs.

Brix, la Luthumière

Détail de la façade postérieure : résidus d'enduit XVIIe à faux appareil encadré de traits blancs

A Carentan, l’hôtel situé au n°49 de la rue Sébeline (auprès de l’hôtel de Ponthergé) a préservé dans l'enduit une date portée de 1641 et présente une façade monochrome, de couleur ocre brun, entièrement couverte d’un faux appareil de petit module. Dans ce cas, le bandeau horizontal saillant qui courre à l’appui des fenêtres de l’étage a été produit par un apport d’enduit en relief. On perçoit ainsi la capacité structurante de ces revêtements, aptes par de tels effets à se substituer à des ornements de façade habituellement sculptés en pierre de taille.

Carentan--rue-Sebeline.jpg

Carentan, 49 rue Sébeline, détail de l'enduit de façade daté par inscription de 1641

Dans un article intitulé "Quand les châteaux étaient peints", Jacques Moulin, architecte en chef des Monuments historiques souligne : "En France même, les façades appareillées en pierre de taille pouvaient être beaucoup plus colorées qu’elles le paraissent aujourd’hui. (...) Cette polychromie violente soulignait les reliefs assez légers de l’architecture et démultipliait son effet monumental". En définitive, les solutions décoratives utilisées au XVIIe siècle en matière d’enduits de parement semblent si variées, parfois si osées et surprenantes, que l’on hésiterait aujourd’hui à en restituer de semblables. Un bon exemple en était fourni par l’ancien revêtement extérieur, datant de la fin du XVIe/début XVIIe, de la chapelle Saint-Ortaire, au Désert, malheureusement détruit il y a quelques années.

Le Désert, chapelle Saint-Ortaire, vue de l'enduit du XVIIe siècle avant sa destruction

Celui présentait un décor de faux appareil tracé au fer dans une matière très épaisse, et s’enrichissait à mi hauteur d’une série de panneaux formant des sortes de tables ornementales. Vers le milieu du XVIIe siècle, on retrouve à l’église Notre-Dame de Brix, un enduit extérieur de texture assez similaire, mais orné d’un étonnant réseau couvrant de motifs géométriques. Espérons que ce dernier ne sera pas détruit dans le cadre d'une future "mise en valeur" de l'édifice !

Brix-eglise-enduit-nef.JPG

Brix, église Notre-Dame, mur nord du choeur, vers 1650

Cette tradition des enduits calepinés et chromatiques n’a pas partout disparue après 1700 pour être remplacée par  les enduits au clou. Une part de la difficulté de leur identification tient précisémment au maintien de ce type de décor jusqu'à des dates parfois aussi récentes que les premières décennies du XXe siècle.  A Valognes, l’hôtel dit de la Bussière, situé au 41 rue des Religieuses conserve un revêtement de ce type et l’hôtel Dursus, 43 rue de Poterie, présente aussi sur sa façade postérieure un enduit couvrant en faux appareil que je crois d’origine. A Valognes toujours, subsiste un bel exemple d'enduit en faux appareil du XVIIIe siècle, d'un type simple et très sobre, à la ferme de la Chesnaie.

 

Hotel-Dursus-43-rue-de-Poterie-04.jpg

Valognes, hôtel Dursus, détail de l'enduit en faux appareil du XVIIIe siècle. Noter le motif de rosace qui indique l'emplacement d'un trou de boulin destiné à fixer un échaffaudage. 

A l’hôtel Ernault de Chantore, une construction achevée aux environs de 1730, la façade sur cour présente à l’état résiduel un exemple intéressant d’enduit mixte, associant les deux techniques : un faux appareil incisé recouvert par un « cloutage » de surface, produit directement avec l’angle pointu de la truelle (et non par application d’un châssis en bois percé de pointes).

Animation-4547.jpg

Valognes, hôtel Ernault de Chantore, détail de l'enduit du XVIIIe siècle

 A Fontenay-sur-Mer, auprès de l'église, une petite maison conserve un autre modèle intéressant d'enduit extérieur, datant probablement la fin du XVIIe siècle ou du début du XVIIIe siècle (selon critères architecturaux). Le faux appareil a disparu et un enduit au clou est ici associé à un décor de bandeaux horizontaux courant à l'appui des fenêtres et à des chaines d'angles produites, elles aussi, par un apport d'enduit en relief. Cet exemple donne une nouvelle illustration de la capacité structurante des enduits en architecture, aptes à se substituer aux modénatures en pierre de taille. Il offre aussi une nouvelle idée de la variété des possibilités créatives offertes par les enduits extérieurs de façade.

 Fontenay-maison-du-bourg-copie-1.JPG

Fontenay-sur-Mer, maison du bourg. Les bandeaux horizontaux saillants et les chaines d'angle, que l'on croirait taillés en pierre calcaire, sont en fait réalisés à l'enduit

A Saint-Rémy-des-Landes, le château de Taillefer, grande bâtisse du second tiers du XVIIIe siècle, présente un bel enduit de chaux couvrant mêlé de gravillons de rivière, proche par son aspect de celui que l'on rencontre communément en Bessin et aux environs de Montebourg.  Dans ce cas, seules les chaînes d'angle de la façade antérieure sont appareillées en pierre de taille, tandis que celles de la façade postérieure, moins immédiatement accessible, ont été maçonnées en simples moellons puis retravaillées en surface par un calepinage au trait blanc.

St-Remi-des-Landes.jpg

Observations similaire pour le "petit logis" de la Cour de Magneville, dont la façade sud a été largement remaniée vers la fin du XVIIe ou le début du XVIIIe siècle, par la famille Lepigeon, qui avait acquis le fief en 1654. Sous les fenêtres du premier étage courent des bandeaux horizontaux ainsi que des pilastres pendants sous les appuis, rendus par des empâtements d'enduit rectilignes. Dans ce cas, l'application d'un enduit couvrant, très décoré, permet de gommer les reprises architecturales du bâti antérieur. L'art de faire du neuf avec du vieux est l'une des principales qualités de l'architecture rurale !

La Cour de Magneville, carte postale ancienne (AD50 6FI285_0007), détail du petit logis

La Cour de Magneville, détail de l'enduit de la façade sud du petit logis

Un enduit décoratif recouvrait aussi les murs du choeur à chevet polygonal de la chapelle du manoir, rebâtie au XVIIe siècle. Malheureusement très abîmé, celui-ci n'offre plus que les traces d'un calepinage en relief semblant dessiner des chaînes d'angles feintes, et d'un bandeau horizontal intercalaire (ci-dessous).

La Cour de Magneville, détail de l'enduit de la chapelle

Ce qui apparaît frappant c'est la richesse, voire la complexité de ces programmes décoratifs. Ce constat suppose que l'on avait la capacité, dans le Cotentin de cette période, de recourir à des artisans formés et compétents, aptes à maîtriser un répertoire décoratif diversifié. La maîtrise qu'avaient les artisans locaux de techniques aussi perfectionnées suppose qu'ils travaillaient pour marché local sans doute assez important. La demande pour de tels décors était-elle aussi forte vers 1700 qu'elle le sera à la fin du XIXe siècle ?

Julien Deshayes, septembre 2012 + additions postérieures

 

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A titre de comparaison, figurent ici deux clichés du manoir de Marigny, à Mortrée (61), qui conserve un enduit à décor de faux appareil d'époque Renaissance.
A titre de comparaison, figurent ici deux clichés du manoir de Marigny, à Mortrée (61), qui conserve un enduit à décor de faux appareil d'époque Renaissance.

A titre de comparaison, figurent ici deux clichés du manoir de Marigny, à Mortrée (61), qui conserve un enduit à décor de faux appareil d'époque Renaissance.

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commentaires

N
Excellentes observations, servies par un texte court, précis et allant à l'essentiel. Remarquable travail de synthèse. Bravo.
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