En mars 1432 Gautier III de Silly - le petit-fils ou le neveu de Robert ? - lui avait succédé. Il est alors cité pour avoir fieffé des terres lui appartenant près du manoir de Lanquetot, sur la paroisse du Vrétot. Il apparaît également en 1436 dans une procédure relative à une rente de 15 quartiers de froment, dont il était tenu de s'acquitter au nom de son père Guillaume "en son vivant écuyer et seigneur de la Houlette", au profit de Robert de Haville, époux de sa sœur Philipotte. Gautier de Silly avait lui-même épousé en 1437 Colette du Buret, veuve de Jean Meurdrac. Il figure dans divers autres aveux ou transactions datées entre 1438 et 1459 et semble être décédé avant 1460. Le 21 mai 1460, c'est en effet un dénommé Jean le Hervy, "écuyer seigneur de Préaux et de Sully, héritier de Richard de Sully en son vivant écuyer" qui rendait aveu pour le fief de la Houlette. Probablement agissait-il en tant que tuteur des enfants mineurs de Gautier III de Silly, et au nom d'un oncle ou d'un autre parent (?).
Il semble en tout cas que la succession de Gautier (III) avait été reprise à compter de 1462 par un nouveau successeur également prénommé Gautier (IV), que l'on trouve mentionné dans de nombreuses occurrences à partir de cette date, et jusqu'en 1476.
Lui succéda ensuite Bertin de Silly, qui, par son mariage en 1474 avec Marie de la Roche-Guyon, veuve de Michel d'Estouteville, baron de Bricquebec, allait entraîner un accroissement considérable des biens et de la notoriété de la famille. Cette union a fait l'objet d'assez nombreux commentaires, tant la différence de rang était importante entre la veuve du baron de Bricquebec et ce petit seigneur du Cotentin. Souhaitant de toutes ses forces s'y opposer, Guyon d'Estouteville, fils aîné du seigneur de Bricquebec, adressa en 1499 une requête au roi, se désolant du fait que ce mariage s'était fait "sans le conseil de ses parents et amys, mesme de ses deux fils et à leur grant desplaisance" Il y souligne aussi que Bertin de Silly n'était que le "serviteur de sa mère" et son "vassal gentilhomme". De fait, Marie de la Roche-Guyon disposa en faveur des enfants nés de ce second lit de la majeur partie des ses biens. Les descendants des seigneurs de la Houlette devinrent ainsi comtes, puis ducs de la Roche-Guyon, seigneurs d'Auneau, de Rochefort, de Lonray, d'Acquigny, ainsi que de biens d'autres fiefs. En Cotentin même, "noble et puissant seigneur" Bertin de Silly, comte de la Roche-Guyon, se déclarait encore, en 1509, seigneur de Pierreville et de Bunehou.
Compte tenu du conflit extrêmement tendu que ce mariage engendrera ensuite avec les Estouteville (Le procès opposant les descendants de Bertin de Silly et Adrienne d'Estouteville durait encore en 1547 et ne prit fin que grâce à l'intervention personnelle du roi Henri II, qui convoqua cette année là les deux partis à Fontainebleau pour exiger un compromis), on peut en revanche considérer que la Houlette - située dans l'orbite immédiate du château des puissants adversaires de Bertin de Silly - cessa dès lors de constituer le lieu de résidence des de Silly. En juillet 1494, probablement suite à la confiscation du fief, c'est Guyon d'Estouteville, seigneur de Bricquebec, qui s'en déclarait possesseur.
Par la suite, la Houlette fut provisoirement fieffée au dénommé Raoul de Brully, qui détint la seigneurie depuis au moins février 1559 jusqu'octobre 1563. A compter d'avril 1558, toutes les archives consultées en attribuent la possession aux barons de Bricquebec. Dans un aveu de la baronnie de Bricquebec rendu en 1696 par Anne Geneviève de Bourbon, le fief , "assis à Quettetot et s'étendant au Vrétot, Saint-Germain-le-Gaillard et ailleurs" est dit être « rentré depuis longtemps en notre domaine non fieffé » et se trouver désormais réuni au corps de la vicomté et baronnie de Bricquebec.
Durant tout le moyen âge, la Houlette avait appartenu à l'ensemble très étendu et cohérent que constituait la baronnie de Bricquebec. Comme ceux de Magneville, des Perques, de Saint-Martin-le-Hébert ou encore du Rozel et de Surtainville, ce manoir faisait partie du premier réseau des fiefs satellites de l'honneur des Bertran, formant une couronne resserrée autour du chef de la baronnie. Il s'agit en définitive d'un bon exemple de dépendance vassalique de niveau secondaire, où non seulement la possession des différents fiefs mais également les alliances matrimoniales, se placent en priorité sous la tutelle du suzerain relatif. Au XVe siècle, Bertin de Silly, que ses détracteurs qualifièrent avec réprobation de « serviteur » de Marie de la Roche-Guyon, ne faisait, dans sa position de « vassal gentilhomme », que prolonger une longue tradition d'attache familiale aux maîtres de la baronnie.
B - Le domaine de la Houlette
Je n'ai pas trouvé d'aveu ancien détaillant la composition du fief et de ses dépendances. Les déclarations d'aveux rendus aux XVe et XVIe siècle par les vassaux de cette seigneurie permettent cependant de s'en faire une idée assez précise. Outre le parc forestier, le moulin et la chapelle de la Houlette, encore repérables sur le cadastre ancien, en dépendait notamment le moulins de Launay à Quettetot et celui de Longueville, à Saint-Germain-le-Gaillard. Les vassaux de la seigneurie en étaient "moutains", c'est à dire qu'ils étaient tenus d'y moudre leur blé et qu'ils devaient en assurer l'entretien et les réparations. Ceux-ci étaient aussi sujets au service de faucher et faner les foins du pré Brienchon et du pré Vauttier. Les plus aisés d'entre ces tenanciers, ceux qui possédaient un attelage, devaient assurer le transport de la récolte jusqu'au manoir. Pour le labour des champs, ces derniers s'acquittaient aussi de deux corvées annuelles de charrue, "l'une devant Noël (pour le froment), l'autre après (pour l'avoine)", et ils percevaient pour cela une somme d'argent de quatre deniers. De la Houlette dépendait aussi l'ancienne lande des Bouillons, dite aussi "commune de la Houlette", qui occupaient deux cent vergées de terres "vaines et vagues" aux confins de Quettetot, Grosville et Rauville-la-Bigot. A l'intérieur de cette lande, les "hommes et tenants de la sieurie de la Houlette" possédaient un droit de pâture pour leurs bestiaux. Le cadastre actuel conserve également la dénomination de l'ancien marais de la Houlette, qui occupait tout le fond de vallée de la rivière en amont du manoir, depuis le hameau Chouenel.
Détail d'une carte du Cotentin dressée au XVIIe siècle par Louis-Nicolas de Clerville (1610-1677),
où figure le manoir de la Houlette.
Noter l'ampleur de la "lande des Bouillons"
Au nombre des usages féodaux qui liaient les vassaux à leur seigneur, on trouve la mention d'un autre devoir, consistant, lorsque des noces étaient célébrées sur ce fief, à faire porter un gâteau au manoir par les nouveaux mariés. Le 21 novembre 1476, Guillaume Mahault, tenant la vavassorie de Brienchon, déclarait en particulier : " Si je me marie sur les fieux de mondit seigneur, doy un gastel d'un boisseau de froment, une longe de bœuf suffisante, un pot de vin, et doy disner, ma femme et moy avec mondit sieur, et mon valet qui porte le gastel, vin et bœuf doit disner avec les domestiques de mondit sieur, et doiyt ma femme une chanson à la dame dudit lieu de la Houlette le jour que je ferais porter les choses dessus dittes et que je disne ma femme et moy avec mondit sieur". Comme tenanciers du fief de la Houlette, ces personnes devaient un service de guet au château de Bricquebec, et étaient aussi tenus de participer à l'entretien des clôtures du parc de Brémont, servant de réserve de chasse aux barons du lieu.
Quelques unes des tenures du manoir de la Houlette sur la carte de Bitouzé Dauxmesnil (1835)
Parmi les resséants rendant aveux à la seigneurie aux XVe et XVIe siècles, sont notamment mentionnées les familles Simon, Lepigeon, Le Scene, Bihel, Labey, Chouesnel, Grisel, Brisset, Douesnard, Letullier ou Lecotte, le Roux… Les hameaux Pigeon, l'Abbé, Grisel, le Tullier, Commenchail ou Choisnel, la Cocotterie, le hameau Bihel et la Bihellerie conservent aujourd'hui dans la toponymie le nom de ces anciens possesseurs. La ferme du Valvicart (aujourd'hui le Vauvicart) et le hamel des Bosquete (aujourd'hui hameau Bosquet), ainsi que d'autres tenures situées à Saint-Germain-le-Gaillard, Pierreville, Sénoville, Vasteville, Rauville-la-Bigot et le Vrétot constituaient d'autres propriétés roturières relevant de la seigneurie de la Houlette.
L'administration de cette seigneurie nécessitait l'emploi d'un personnel particulier. En novembre 1446, du vivant de Gautier de Silly, le dénommé Thomas Lemarchand, procureur de la seigneurie, assistait Jourdain Leblond, qui en était le sénéchal.
II - Description
La Houlette occupe le rebord d'une colline boisée, au coeur de l'une des portions de ce qui fut jadis l'importante forêt de Bricquebec. Selon un principe d'implantation relativement courant, les bâtiments sont établis au sommet d’une déclivité naturelle, située entre la vallée destinée aux pâtures et le plateau où se concentre l'essentiel des terres labourables. Cette implantation présente aussi une valeur défensive, que devait initialement renforcer une clôture reliant les différents bâtiments regroupés autour de la cour manoriale.
Le cadastre de 1829 montre, à gauche du logis seigneurial, un bâtiment inclus dans une pièce de terre semi-circulaire. Aujourd’hui une maison moderne, construite dans les années 1970, occupe à cet emplacement le sommet d’une butte artificielle qui domine la cour manoriale. Au dire de M. et Mme Simon, les propriétaires actuels, cette butte de terre préexistait à la construction de la nouvelle habitation, et pourrait donc correspondre aux vestiges d’une ancienne motte seigneuriale. Aucun élément n'indique cependant la présence de fossés complétant le système défensif.
Une chapelle disparue, encore visible sur le cadastre ancien de la commune, se trouvait en retrait, au sud de la cour. Cette chapelle est signalée en 1332, dans le pouillé du diocèse de Coutances, et appartenait alors aux héritiers de Gauthier de Silly. Le cadastre ancien de la commune de Bricquebec fait également figurer le moulin manorial, situé en fond de vallée et associé à une vaste digue destinée à en alimenter le bief. Une vaste pièce de terre s'étendant sur le versant opposé y est désigné sous le nom de "Parc de la Houlette", désignant la fonction initiale de cet espace boisé rattaché au domaine non fieffé du manoir, qui devait initialement servir de réserve de chasse et/ou de lieu de parcage pour le bétail.
Cadastre de 1829 - Le manoir et ses dépendances
Le logis est constitué d'un bâtiment de plan rectangulaire d'environ quatorze mètres sur six, doté d'une petite aile formant retour à l'aplomb du pignon ouest. Une seconde aile formant équerre au niveau du pignon oriental, encore discernable par des traces d'arrachements, a été supprimée postérieurement au tracé du cadastre napoléonien.
L'élévation de l'édifice comprend deux niveaux. Le rez-de-chaussée est partiellement surélevé sur un niveau de soubassement permettant de rattraper le dénivelé naturel du sol. Le gros oeuvre est constitué de moellons de grès local. Seuls les encadrements des baies et certains éléments de chaînage sont en pierre de taille, calcaire d'Yvetot-Bocage (canton de Valognes) ou grès clair à grain fin de la région des Pieux .
L'analyse de ce bâtiment permet principalement de distinguer deux phases anciennes de construction, toutes deux antérieures à des remaniements survenus dans la première moitié du XIXe siècle puis dans le troisième quart du XXe siècle. Durant la phase I, que nous proposons de dater de la première moitié du XIVe siècle, le logis abritait une pièce unique sous charpente apparente prenant appuis aux trois-quarts de sa longueur sur un niveau de soubassement, servant à compenser la déclivité du terrain d'ouest en est. Lors de la phase II, des environs de 1450, le volume du logis a été subdivisé par l'insertion d'un mur de refend et d'un étage d’habitation.
Les transformations apportées au XIXe siècle, vraisemblablement contemporaines de la construction d'un logement de fermier en dépendance, étaient notamment destinées à adapter l'étage de l'ancien logis seigneurial à une fonction de stockage agricole. La construction d'une nouvelle maison d'habitation, édifiée à l'intérieur de la cour manoriale dans les années 1970, a pour le reste permis de préserver le logis médiéval, dont seule l'extrémité orientale a été réaménagée intérieurement.
III - Analyse du bâtiment en phase I
A - Distribution
La compréhension de la distribution initiale du logis est facilitée par les multiples vestiges résiduels de décor peint qui ont été conservés lors des transformations postérieures. l'existence de traces de peinture, subsistant aussi bien sur les deux murs pignons du corps principal d'habitation qu'au niveau des combles de la petite aile en retour, prouve notamment que le plan au sol du logis du XIVe siècle intégrait l'ensemble du bâtiment actuel, aile nord-ouest comprise. L’intégration du mur de refend venu ultérieurement diviser le corps d’habitation se distingue autant par son absence d'ancrage dans les maçonneries des murs gouttereaux que par le maintient de l'enduit et du décor primitif sous ses appuis latéraux. Ces observations sont étayées au niveau du rez-de-chaussée semi enterré, où un éguet percé dans le mur gouttereau sud a été obstrué lors de l'insertion du mur de refend du XVe siècle. Côté nord, un autre éguet du XIVe siècle, situé en vis-à-vis, a été préservé en inclinant et en déviant le parement du le mur.
L'absence de division verticale du logis en phase I est par ailleurs rendue évidente par les transformations effectuées au XIXe siècle. Au cours de travaux visant à adapter l'étage du logis à une fonction agricole, une partie du plancher a en effet été surbaissée de soixante centimètres, pour l'établir au niveau du seuil d'une porte nouvellement percée dans le mur pignon ouest. Ce faisant, on a fait réapparaître le décor peint du XIVe siècle, dont la surface se prolonge au dessous du niveau de plancher inséré au XVe siècle.
L’aile en retour située en prolongement du mur pignon occidental conserve son volume initial. Les reprises effectuées sur les percements ne permettent pas en revanche d’attester une communication directe avec le corps d’habitation principale. La cheminée qui occupe le mur pignon nord de cette aile a également été remaniée, mais conserve probablement son emplacement d’origine.
B - Cheminée et percements
Huit assises de chaînage oblique, visibles sur la face interne du mur gouttereau nord du corps de logis, indiquent l’emplacement d’un manteau de cheminée, initialement située au centre de l’élévation postérieure. Un peu moins de trois mètres au dessous, dans le même axe, deux rangées de pierres saillantes formaient l'ancrage d'un encorbellement destiné à soutenir l'âtre de ce foyer disparu. La destruction de cette cheminée apparaît contemporaine de la phase de remaniement du XVe siècle, qui vit, à son emplacement, l’insertion d’un mur de refend et le percement d’une porte haute.
Porte du XVe siècle à l'étage du logis. La rainure oblique située à gauche correspond à l'ancrage du manteau de cheminée de l'édifice primitif
La plupart des percements actuels appartient à la phase II ou à des phase postérieures au XVe siècle. Seuls les deux petits éguets du rez-de-chaussée semi enterré, taillés en grès clair, sont encore attribuables au début du XIVe siècle. L'emplacement des fenêtres de la façade, au nombre de deux, ne peut désormais se déduire qu'à partir de traces résiduelles d'arcs de décharges visibles dans les maçonneries. La porte d'entrée se situait en façade sud, à l’extrémité orientale du logis, tout près de l'angle sud du mur pignon, où s'observent encore des parements en grès formant à la fois chaînages d'angle et piédroits d'une ancienne ouverture. Cette porte a été maintenue malgré des modifications tardives. Son emplacement, dans la partie la plus surélevée du bâtiment, indique que l'accès au logis se faisait initialement - comme c'est encore partiellement le cas aujourd'hui - par un escalier droit extérieur. Les traces de reprises de maçonnerie visibles dans la partie inférieure du parement de façade, à gauche du seuil de la porte, pourraient indiquer l'emplacement de l'emmarchement de cet escalier primitif.
Plan du rdc du logis de la Houlette (J. Deshayes).
Les murs de refend sont des insertions effectuées au XVe siècle.
C - Aspect général du logis en phase I
Le bâtiment résidentiel identifié à l'état de vestige sous les remaniements du XVe siècle était constitué d'une grande pièce unique, prenant appuis à un rez-de-chaussée semi enterré formant soubassement sous les deux tiers de l'habitation. L'élévation de la pièce sous charpente apparente atteignait une hauteur d’environ six mètres soixante au niveau du faîte, pour une surface au sol de près de seize mètres sur six. La plupart des percements, fenêtres et porte comprises, se trouvait en façade sud, du côté de la cour manoriale. La cheminée occupait le centre du mur gouttereau nord. Sur l'ensemble des surfaces murales, un enduit blanc à la chaux portait un décor de faux appareil rouge à doubles traits, imitant des pierres de parement arrondies aux angles et ponctuées, une assise sur deux, de fleurettes. Ce type de décor peint, dont il existe des équivalents dans l'architecture religieuse et dans d'autres édifices civils de la région, se rencontre depuis la seconde moitié du XIIIe siècle jusque dans le premier tiers du XIVe siècle environ.
Coupe transersale du corps de logis (J. Deshayes).
Les murs de refends et le plafonnement ont été aménagés au XVe siècle.
II - Analyse du logis en phase II
Les transformations apportées au bâtiment lors de la phase II étaient destinés à le rendre conforme au type courant du logis de la fin du Moyen-Age. Tandis qu’un mur de refend vient diviser le volume de l’habitation, un étage est également inséré à l'intérieure de la grande salle médiévale sous charpente apparente. Le niveau des sablières a été haussé d'environ quatre vingt centimètres, de manière à dégager sous la charpente une hauteur suffisante pour permettre l'insertion d’un plancher supportant le nouvel étage résidentiel. La charpente installée lors de cette seconde phase, dotée de fermes à entraits et poinçons, est restée partiellement en place. La petite porte haute percée au sommet du mur de refend indique que l'on avait prévu l’aménagement d’un niveau de combles.
Assez représentatif du logis moyen du XVe siècle, ce bâtiment pose cependant divers problèmes d'interprétation quand au mode de circulation vertical qui y avait été envisagé. Tandis qu’une nouvelle porte de plain pied sur la cour a été percée dans la partie occidentale de la façade, l'accès à l'étage est en revanche assuré par une porte haute, ouvrant dans le vide sur la façade nord. Dans leur état actuel, l'accès du rez-de-chaussée et de l'étage paraissent ainsi avoir été totalement dissociés, l'itinéraire de l'un vers l'autre obligeant même à contourner l'ensemble du bâtiment.
Pour surprenante que soit l'hypothèse d'accès séparés sans solution de continuité entre chaque niveau, ce cas n'apparaît pour autant pas totalement isolé. Un système comparable existe au manoir de Lanquetot, sur la commune voisine du Vrétot, où une porte ouvrant en façade postérieure, à plus d'un mètre au dessus du sol, semble avoir constitué le seul accès vers l'étage de l'habitation. La salle haute sur cellier de l'aile sud du logis des hospitaliers de Valcanville conserve également, côte jardin, une porte haute qui surplombe des vestiges de douves. D'autres portes énigmatiques, donnant étrangement dans le vide en façade postérieure depuis l'étage d'habitation existent également à la Cour de Saint-Martin le Hébert (aile du XVe siècle) et au manoir du Parc de Saint-Lô-D’ourville (XVe siècle). Aucun détail d’appareillage ne permet d’associer ces ouvertures à d’éventuels escaliers en vis, système de galeries en bois ou de latrines en encorbellement. Ce parti distributif indique toutefois la survivance d'une opposition entre deux espaces traditionnellement distincts issus du binôme structurel salle / chambre. Tandis que la salle de rez-de-chaussée ouvre de plein pied sur le pôle collectif et agricole de la cour manoriale, l'accès à la chambre à l'étage se fait par les jardins, d'une manière dissociée et privative.
Les cheminées construites en phase II dans chacune des pièces de l'habitation sont dotées de consoles à triples quarts de ronds séparés par des cavets intercalaires, supportant de larges tablettes latérales. Le linteau à crossettes soutient un manteau oblique fortement incliné. Les fenêtres de la salle haute, dotées de banquettes en pierre, sont abritées sous de profonds arcs surbaissés. L'intérêt suscité par la forme et la disposition de ces éléments se situe plus dans la problématique d'une typologie détaillée de l'habitat du XVe siècle en Cotentin que dans celle d'une compréhension globale du bâtiment.
Plusieurs indices montrent que les travaux du XVe siècle en sont restés au stade du gros œuvre, mais ne comprennent pas les finitions nécessaires à la résidence. Aucune trace d’enduit n’a été décelée en superposition sur le décor peint du XIVe siècle.
III - Modifications du logis en phase III
Les transformations apportées au manoir de la Houlette dans la première moitié du XIXe siècle visaient essentiellement à adapter celui-ci à un usage agricole. Cette nouvelle fonction explique le percement d'une porte dans le pignon ouest et la suppression de la cheminée de l'étage, installée au XVe siècle. Au cours de ces modifications, le niveau du sol de la pièce a été descendu sur un cinquième environ de sa surface et l'on a subdivisé la salle du rez-de-chaussée par une cloison. Un relief sculpté en pierre calcaire, provenant sûrement de la cheminée supprimée dans la pièce haute, fut alors remployé dans ce mur de cloison. Il représente une figure de sirène accompagnée d'un tronc d'arbre écoté, d'un peigne, d'un miroir et d'une chimère.
La Sirène de la Houlette : encadré d'un peigne et d'un miroir, elle domine un oiseau et une chimère à queue de reptile. Sur sa droite un tronc d'arbe écoté symbolise sa stérilité. L'allégorie se rapporte à la vanité de la luxure et des plaisirs charnels (gulp !).
Il est probable que la même phase de transformation du XIXe siècle ait provoqué la suppression de l'aile orientale de la demeure, encore figurée sur le cadastre de 1829.
IV - Interprétation
Typologiquement, la structure identifiée pour la phase I n'est pas évidente à déterminer. Elle se distingue des salles basses sous charpente apparente traditionnelles par la présence d'un cellier sous-jacent et la particularité d'un mode d'accès par un escalier extérieur. Notre méconnaissance des bâtiments susceptibles d'avoir complété le dispositif initial en reportant une partie des fonctions résidentielles dans une structure distincte ne permet pas d'adopter une interprétation définitive.
Dans un secteur géographique très proche, le manoir de la Houlette peut être comparé à un autre bâtiment du XIVe siècle récemment identifié à la "ferme" de Lanquetot, sur la commune voisine du Vrétot. Le Lanquetot est une ancienne vavassorie noble, autre dépendance de la baronnie de Bricquebec, appartenant initialement à la famille de Lanquetot, qui le possédait depuis au moins le début du XIIIe siècle. Elle représentait sûrement à une branche des Lanquetot de Portbail, et il semble qu'elle ait également été en possession de fiefs situés à Pierreville et à Sénoville. En 1298, les deux frères puînés de Robert de Lanquetot, héritiers des biens sis au Vrétot, échangèrent leur part de patronage à la cure de Quettetot avec Robert Bertran contre le manoir du Quesnay de Surtainville, valant 1/6 de fief de haubert. Par le mariage de Phillipote de Lanquetot, fille présumée de Robert II, verdier de Bricquebec, les Lanquetot s'étaient alliés en 1371 à la famille de Silly.
Logis du manoir du Lanquetot au Vrétot. Dessin de restitution de l'état médiéval (J. Deshayes)
La "ferme" de Lanquetot attire généralement l'attention en raison du logis du XVIe qui occupe le fond de la cour, auprès d'une ancienne chapelle du XVIIe siècle. Environ deux cent mètres à l'ouest de ce logis, en position légèrement surélevée par rapport à la cour, subsiste une ruine beaucoup moins monumentale mais nettement plus ancienne. Ce bâtiment se compose d'un unique corps rectangulaire, privé de sa charpente. Le mur gouttereau sud a été entièrement démoli et reconstruit au XVIIe siècle avant de tomber de nouveau en ruine. Chacun des deux pignon conserve un double niveau de percements indiquant l'existence d'un rez-de-chaussée très bas à usage de cellier portant une grande pièce unique. Comme à la Houlette, les éléments en pierre de taille formant les encadrements des baies sont maçonnés en grès clair à grain fin. Sur la façade nord, à peu près au centre de l'élévation, se distingue la saillie d'un conduit de cheminée sur mur gouttereau. A l'angle occidental du mur nord, subsiste l'encadrement d'une porte obstruée, déjà signalée, que devait initialement desservir un escalier droit menant directement à la pièce haute depuis l'extérieur de la cour.
Dans le cas du Lanquetot, comme dans celui du manoir de la Houlette, il est délicat de proposer une interprétation fonctionnelle précise qui soit conforme aussi bien au type ordinaire de salle de plain-pied qu'à celui de la camera séparée. L'importance hiérarchiquement modeste du manoir de la Houlette justifie à notre sens le fait que l'on ait pas cherché à s'y conformer au modèle identifié par Edward Impey à Bricquebec ou à Beaumont le Richard. Le manoir de la Houlette dans sa phase I est plutôt à mettre en parallèle avec un modèle de demeure à salle simple multifonctionnelle, d'un type identique à celui défini par Jean Mesqui en Île-de-France. Sur un niveau inférieur à usage de stockage, le volume unique de la salle surélevée réunissait aussi bien des fonctions résidentielles que des fonctions d'accueil et d'apparat. Les transformations apportées à ce logis au cours de la phase II viseront notamment à mieux dissocier ces deux fonctions. A la salle de plein pied et la cuisine du rez-de-chaussée, s'opposeront désormais la salle haute et la chambre seigneuriale, situées à l'étage et accessibles uniquement par l'extérieur de la cour.
Julien Deshayes, 1998
Nota : Nous avons pu constater en janvier 2014 que l'ancien logis du Lanquetot, très rare exemple d'architecture manoriale de la première moitié du XIVe siècle, est désormais totalement effondré. Après la destruction du vieux logis médiéval du manoir d'Ourville à la Pernelle, c'est le second édifice de cette période que nous voyons disparaître dans l'indifférence générale en l'espace de quelques années.