Note de synthèse
provisoire
Une origine antéireure au Moyen-âge ?
Selon un état manuscrit de la baronnie de Bricquebec rédigé en 1786 il est indiqué que "La tradition des anciens
veut qu’il y ait eu (à l'Etang Bertran) un château et des fortifications. Cela est vraisemblable, mais il n’en est resté aucun vestige"..
Charles de Gerville avait repéré, au tout début du XIXe siècle, des traces d'occupation antique le long de la rivière, et
l'abbé Lebreton, prêtre érudit (on lui doit la destruction de l'ancienne église romane de Bricquebec et son remplacement par une meringue néo-gothique), mentionne au début du
XXe siècle l'existence d'un camp romain au lieu-dit Grand-camp, sur un plateau dominant au sud un méandre de l'Ouve. Lebreton affirme également "alors que la grande
commune de Bricquebec n'était guère qu'une vaste forêt, la principale agglomération des habitants se trouvait à l'Etang-Bertrand". L'hypothèse d'une occupation antique de ce retranchement et
celle d'une antériorité de cette agglomération sur celle de Bricquebec, ne sont malheureusement étayées par aucune source écrite ni par aucune découverte archéologique déterminante. L'intérêt
stratégique du site, contrôlant un franchissement de l'Ouve sur la chaussée d'un axe routier majeur (connu depuis le XIVe siècle sous le nom de Carrière-Bertran) est cependant assez
manifeste pour avoir justifié l'établissement d'une fortification à cet emplacement.
L'église Saint-Siméon
La chapelle Saint-Siméon de l’Etang n’est à ma connaissance citée dans aucune source médiévale. Ni le Livre Noir (v. 1280),
ni le Livre Blanc ou Pouillé du diocèse de Coutances (1332) n’en font état, pas plus que le cartulaire de la baronnie de Bricquebec, qui cite en revanche les chapelles du château, de
Sainte-Croix-de-Bois et de Saint-Blaise des Ys. La première occurrence rencontrée est celle de la carte de Mariette de la Pagerie (1689). La Chapelle Saint-Siméon figure également sur la carte de
Cassini, apparemment à son emplacement actuel. En 1786 enfin, il est indiqué que « Dans ce village est situé la Chapelle de l’Estang à la collation de la dame du lieu, dont le
titulaire à le droit de mettre ses bestiaux dans la prairie de la salle, depuis le mois d’août jusqu’au premier avril ». L’abbé Lebreton signale que l’édifice était desservi à la
Révolution par un dénommé Robert Chappey, puis qu’elle le fut par un vicaire de Bricquebec. Il précise également que la construction du presbytère fut entreprise en 1833 par M.Delacotte
(1831-1843), et achevée par son successeur, M. L’abbé Langlois. Officiellement, la création de cette paroisse ne date cependant que de 1845. C'est donc à juste titre que L’abbé Lebreton précise
que l’édifice faisait fonction de paroisse longtemps déjà avant l’érection de l’Etang-Bertran en commune autonome (1895).
A mon sens, il est probable que cet édifice existait bien en effet depuis une époque reculée et qu'il bénéficiait, dès
l'époque médiévale, de fonctions curiales presque aussi étendues que celles d’une paroisse. En faveur de cette hypothèse, on peut notamment citer, à
titre de comparaison, l’exemple de la chapelle de Hautmesnil, à Saint-Sauveur-le-Vicomte, exerçant en 1318 les fonctions curiales d'une église (baptêmes, enterrements, mariages…), mais qui n’est pas
citée non plus dans les inventaires ecclésiastiques des XIIIe et XIVe siècles. Le silence des sources écrites traduit probablement l'embarras des autorités diocésaines face
à l'existence de ces sanctuaires "non déclarés", subsistant manifestement hors de tout contrôle épiscopal à l'usage de communautés d'habitants résidant au cœur des marais ou des forêts…
L’abbé Lebreton indiquait dans son ouvrage publié en 1902 que l’église « ogivale » avait « été construite, il
y a une trentaine d’années ». Cette mention convient assez bien avec l’aspect de l’édifice actuel. On se souviendra que l’existence de cette église neuve incitera en 1895 les paroissiens de
l’Etang, qui ne souhaitait pas participer au financement de la nouvelle église de Bricquebec, à obtenir, en même temps que Rocheville, leur érection en commune autonome.
Cet édifice en grès local adopte un plan orienté en croix latine, avec tour de clocher portant sur la chapelle latérale sud,
située à la jonction du chœur et de la nef. Bien qu’elle semble correspondre à un projet unique, cette disposition est commune à de nombreux édifices religieux du Cotentin, construits par
agrégation progressive de divers éléments (les chapelles venant généralement s’ajouter, à partir des XIVe et XVe siècles, à une nef et un chœur plus anciens). La forme
ovoïde du clocher coiffé « à l’impérial », encadré d’une balustre à quadrilobes ajourés, constitue la principale originalité de cette architecture. Il faut sans doute le rapprocher de
celui de l’église abbatiale de la Trappe de Bricquebec Le mobilier intérieur recèle peu d’éléments anciens : quelques éléments de retables,
aujourd’hui visibles dans la chapelle nord, sont datables du XVIIe siècle.
Le tympan du portail occidental est sculpté d’une représentation assez maladroite de la Résurrection du Christ. Jésus s’élève
dans les nuées tandis qu’un ange supporte le couvercle du sépulcre. Deux légionnaires romains assoupis occupent le premier plan. Au revers de la façade, un second tympan illustre la déploration
du Christ mort.
Statue de saint Siméon (Cliché de la Conservation des antiquités et objets d'art de la
Manche).
Le vocable de Siméon le Stylite, saint ermite mort à Antioche en
459, est assez rare. Un vocable identique désigne une chapelle située à Portbail, qui servait jadis aux offices paroissiaux. Siméon le Stylite figure également sous forme de statue dans la
chapelle Sainte-Anne, anciennement Sainte-Croix des Bois, de Bricquebec. D’après la carte de Mariette de la Pagerie, une autre chapelle Saint-Siméon existait à Quettetot, à l’intérieur d’une portion de la forêt de Bricquebec jadis nommée le « bois de la Houlette ». A
Quettetot, il existe aussi dans l’église paroissiale une statue d'époque Renaissance représentant cette fois le vieillard Siméon des évangiles. On retrouve encore le vieillard Siméon sous
forme de statues des XVe et XVIe siècles conservées dans les églises de Breuville,
Neuville-en-Beaumont et Aumeville-Lestre. En Cotentin, l'église
Saint-Georges de Néhou abritait au XVIIe siècle un autel et une chapelle dédiés à l'un des deux
Siméon, mais elle a disparu depuis. Sur la frontière du Cotentin et du Bessin, il existe à Neuilly-la-Forêt une fontaine réputée miraculeuse consacrée à saint Siméon, et à
Sainte-Honorine-des-Pertes subsistent les ruines d'une chapelle saint Siméon, qui faisait avant guerre l'objet de processions populaires. A Honfleur - bourg portuaire jadis placé pour partie sous
le contrôle des Bertran de Bricquebec - se trouve une ferme Saint-Siméon, célèbre pour avoir abrité de nombreux peintres de la côte Fleurie.
Dans le secteur de Bricquebec, la dévotion au saint ermite oriental a peut-être été diffusée à partir du XIe
siècle par les chanoines de la baronnie, auxquels revenait la charge de l'encadrement religieux des populations forestières vivant dans l'orbite du château de Bricquebec. Disposant eux-mêmes d'un
ermitage isolé dans les bois, non loin de l'Etang-Bertran, ces chanoines lettrés avaient sans doute une connaissance précise de la vie de ce fou de Dieu qui vécut plusieurs années au sommet d'une
colonne.
Le bourg de l'Etang
Le bourg de l'Etang-Bertran est une petite agglomération située à environ cinq kilomètres du château de Bricquebec. L’habitat
s’y regroupe autour d'un ancien moulin seigneurial et d’un pont routier, formant chaussée sur la "carrière
Bertran", une route médiévale menant de Bricquebec à la baie des Veys. Bien qu’il disposât de sa propre
chapelle, ce village était anciennement compris dans le très vaste ressort territorial de la paroisse de
Bricquebec.
Un coutumier rédigé en 1300 et un aveu de 1456 de la baronnie mentionnent conjointement, les "bourgeois de
Bricquebec et de l'Etang", confirmant donc que les habitants de ce village jouissaient de franchises propres aux tenures en bourgeoisie. La notion de bourg implique également l'existence
d'un marché hebdomadaire, permettant les échanges commerciaux et le développement de l'artisanat. En 1325, par concession royale, Robert Bertran, seigneur de Bricquebec, obtint en outre la
création d'une foire au bourg de l'Etang, le jour de la Saint-Nicolas (en mai).
Un acte de juillet 1241 relatif à la concession de moulins et de terres appartenant à Guillaume de Magneville, seigneur de
Magneville, au profit de Robert Bertran de Bricquebec, évoque la rente d'un quartier de froment à percevoir de Ruffo de l'Etang et une autre rente de quatre sols, huit deniers, deux
pains, deux poules et vingt œufs dus par Robert Forgeron (ou le forgeron) de l'Etang. Cet acte évoque aussi "la terre des fourniers" (terram fornellorum) qui se situait dans le même
secteur. On perçoit timidement, à travers de tels patronymes, l'existence de cet artisanat local.
Il est encore question du bourg en 1786 dans les archives de la baronnie de Bricquebec : « l’Etang Bertrand, a
retenu le titre de bourg, et jouit en effet du droit de bourgeoisie, et il n’y a pas un siècle qu’il y avait encore un marché, des foires, qui ont été transférées au bourg de Bricquebec »
.
Plan du pont et des moulins de l'Etang Bertran vers 1780
Les moulins
Les seigneurs de Bricquebec possédaient la jouissance de plusieurs cours d’eau situés sur le
territoire de leur baronnie :
"L’Ouve, depuis le pont de Sottevast jusqu’au « moulin de la Fosse en Golleville au lieu-dit le Gravier où il y a
encore de présent quelques masures de murailles » (aveu de 1696)
La Sye, depuis sa source, située à Saint-Martin-le-Gaillard, jusqu’à son débouchée dans l’Ouve".
Ils exerçaient sur ces rivières plusieurs droits, dont le droit de curage, permettant : « sur l’annonce qui
était faite par le procureur de la justice du seigneur, qui fixait un jour pour cette corvée générale, tous les vassaux étaient tenus de venir curer les douves et fosses du château, les étangs et
réservoirs, les rivières ». Ils avaient le droit d’établir des pêcheries et possédaient plusieurs moulins, situés à Bricquebec, Négreville, Magneville, le Vrétot
et Surtainville. On apprend aussi par ces documents que les vassaux des barons de Bricquebec étaient tenus de plusieurs devoirs liés aux différents moulins : « à cause ded.
Moullins m’appartiennent et sont deubz plusieurs services particuliers, tant de charriages de meulles au grain, réparations de chaussée, carier les (
) que autrement : Et sont tenus mes hommes de mad. Seigneurie subjectz aller faire moudre leurs bleds ausd. Moulins, sous peine de forfaiture ».
Le moulin de l’Etang-Bertran est signalé pour la première fois dans un document de peu antérieur à 1204, faisant état de la
donation aux prêtres de la chapelle Sainte-Croix (actu. Ste-Anne) d’une rente de 22 quartiers de froment à prendre sur le moulin de
« l’Estanc ». L’acte mentionne également le don de la dîme des anguilles de la pêcherie de ce moulin et de la pêcherie située sous le
moulin (« decimam anguillarum piscature ejusdem molendini et piscaturam quam habere consueverunt sub eodem molendino »).
Le pont de L'Etang-Bertran sur une carte postale ancienne
L’Estang-Bertran est de nouveau cité dans un aveu rendu en 1456, indiquant qu’il y existait encore un moulin mais
qu’il « souloit en avoir deux », ce qui signifie qu’un des moulins avait été détruit ou laissé en ruine. En 1786, il est précisé que le moulin de l’Etang « consiste en
deux roües, l’une pour le froment et le sarrazin, l’autre pour l’orge. Tous les instruments servant à faire farine appartiennent à la dame du lieu. Le droit de moute est au 16e. Il
mout toute l’année, les eaux y sont suffisantes ». Le moulin était alors affermé à Jean Levéel, moyennant 2200 livres de fermage, englobant aussi 19 vergées de terres et herbages. Ce
document indique aussi que « les individus sont le meunier et son épouse, quatre enfants dont l’aîné à 9 ans et cinq domestiques. Payent au roi 300 livre d’imposition et 40 livre de
sel ». Il est encore précisé que « le moulin a besoin d’un corps de bâtiment pour loger le meunier et sa famille, attendu qu’il n’y a qu’une chambre à ce moulin, et qu’il est
obligé de louer dans le village ».
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