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La vita de saint Ermeland et les origines de la paroisse d’Orglandes
La paroisse d’Orglandes est citée dans un récit hagiographique du VIIIe siècle, la Vie de saint Ermeland (Vita Ermelandi)[1], relatant le séjour et le miracle que fit en Cotentin ce moine de l’abbaye de Fontenelle, fondateur de l’abbaye d’Aindres, à une date qui se situe entre la fin du VIIe et au début du VIIIe siècle. Ce texte précise que le saint, venu en Cotentin pour les affaires de son abbaye, fut invité à diner avec quelques disciples chez un riche propriétaire du nom de Launus. Là, il aurait transformé de l'eau en vin pour subvenir aux besoins d'une foule nombreuse d’invités et de pèlerins venus à sa rencontre, avant de se retirer dans sa propre demeure, située dans le domaine d'Orglandes ("Domini post refectionem ad propriam domum quae est in villa quae dicitur Orglanda, reversus est"). Un autre épisode survenu lors du séjour d’Ermeland à Orglandes se rapporte au vol commis par un paysan d’un flacon ( ? Labulum) que le saint portait sur sa selle, mais que le voleur dut restituer en raison de la brûlure que se mit aussitôt à lui causer cet objet. L’intérêt du récit est surtout de préciser que le flacon, une fois restitué, demeura ensuite exposé dans l’église du bienheureux apôtre Pierre, dans la cella d’Orglandes (quod in testimonium vsque in præsens perseuerat, pendens in oratorio beati Apostoli Petri in Orglanda cella, vbi hoc gestum est). Ce document contient ainsi de façon explicite mention d’un petit établissement monastique, dépendant probablement de l’abbaye d’Aindres, qui était établi au VIIIe siècle sur la paroisse d’Orglandes. Le culte de saint Ermeland trouva probablement à s’y développer par la suite autour de la mémoire de ses miracles, et de ce fameux flacon, devenu une sorte de relique ou brandea.
Le culte de saint Ermeland a laissé une empreinte assez importante en Cotentin, en particulier aux Moitiers-en-Bauptois, ainsi qu’à Boutteville, où se tenait une foire le jour de la fête du saint (18 octobre), à Sottevast et au Plessis-Lastelle, où subsistent les bâtiments d’un ancien prieuré Saint-Ermeland, à Vauville ou certaines traditions lui attribuent la fondation de l’ancien prieuré Saint-Michel du Mont. A Orglandes même existait, selon Charles de Gerville, une fontaine Saint-Herbland, située « près de Rouville, en un lieu nommé Launay», que nous n’avons pas su retrouver. Nulle autre trace en revanche dans l’église paroissiale, vouée à Notre-Dame, ni parmi les autres sanctuaires attestés sur la commune. Une hypothèse intéressante consisterait plutôt à rattacher le récit relatif au miracle de saint Ermeland à la paroisse limitrophe de Gourbesville, vouée elle aussi au saint abbé d’Aindres. Ce domaine fit, en 1060, l’objet d’une donation au profit de l’abbaye Saint-Père de Chartres[2], également récipiendaire, depuis le début du XIe siècle, d’anciens domaines monastiques mérovingiens situés au Ham et à Saint-Jean-de-la-Rivière[3]. Implantée au contact étroit du manoir seigneurial de Gourbesville, pratiquement intégrée aux dépendances de celui-ci, cette église ne pourrait-elle avoir été édifiée sur le site même de la résidence du riche Launus, censée elle-même, comme nous l’avons vu, s’être trouvée non loin de la cella d’Orglandes ? L’église de Gourbesville offrirait auquel cas un bel exemple d’ancien sanctuaire domanial d’époque Franque, devenu paroisse à l’époque ducale.
A Orglandes même, l’Abbé Lecanu en 1839[4] puis J. M. Renault dans l’Annuaire du Département de la Manche de 1870[5], ont signalé une chapelle vouée à Saint-Pierre, susceptible donc de correspondre à l’oratoire de la cella d’Orglandes mentionné dans la vita du saint. Malheureusement aucun des deux auteurs ne fournit les sources de son attestation, ni la localisation de ce sanctuaire disparu.
L’église Notre-Dame ne semble pas avoir conservé en élévation de maçonneries antérieures au XIIe siècle. Elle présente en revanche plusieurs briques et fragments de briques en remploi, manifestement romaines, ainsi que des morceaux de calcaire coquillier provenant très vraisemblablement de sarcophages du haut Moyen-âge, visibles aussi bien éparpillés dans les murs qu’affleurant dans le sol du cimetière. Dans les maçonneries de la nef, au bas de la troisième travée du côté sud, nous avons également repéré un bloc de pierre calcaire où apparaissent sur une surface très corrodée de petites folioles en méplat que nous pensons sculptées de main d’homme. Le détail est minuscule, presque insignifiant, mais il appartient manifestement à une date antérieure au XIIe siècle.
Signalons aussi que l’actuelle route départementale 24 qui passe au chevet de l’église reprend le tracé d’une voie romaine importante et bien attestée, qui reliait Cosedia (Coutances) et Crociatonum (Sainte-Mère-Eglise ?) au sud, à Alauna (Valognes), au nord. Cette voie romaine croise à cet emplacement précis le tracé de l’ancienne « carrière Bertran », une route menant depuis le secteur de Surtainville et du port de Diélette vers la baie des Veys qui dépendait au Moyen-âge de la baronnie de Bricquebec.
Il faut encore souligner qu’Orglandes constituait sous l’ancien Régime le chef de l’un des doyennés du Cotentin, héritage probable d’une institution territoriale antérieure à l’époque ducale. Le nom même d’Orglandes, déjà attesté comme nous l’avons vu au VIIIe siècle, serait selon François de Beaurepaire issu d’un hydronyme pré-latin se rapportant donc à une rivière et ayant la particularité de former frontière ou limite entre deux territoires distincts[6]. Difficilement explicable d’après la géographie de la commune actuelle, cette explication trouve en revanche un sens beaucoup plus précis dès lors qu’elle est envisagée à l’échelle du territoire qui formait le doyenné d’Orglandes dans son ensemble. S’étendant de Négreville, Yvetot-Bocage et Magneville au nord jusqu’à Rauville-la-Place et Picauville au sud cette entité territoriale se trouve en effet nettement délimitée par l’Ouve et le Merderet, les deux rivières les plus conséquentes de la presqu’île du Cotentin.
Orglandes offre en résumé un site particulièrement sensible en termes de continuité d’occupation, et exerça probablement durant le haut Moyen-âge un rôle structurant à l’échelle des territoires environnants. Le maintien de son appellation d’époque pré-normande suggère pour le moins que cette prééminence ne fut pas entièrement effacée lors des bouleversements provoqués aux IXe et Xe siècles par l’arrivée de colons scandinaves.
L’église Notre-Dame
La paroisse d’Orglandes était initialement de patronage laïc. Lors de la rédaction du premier pouillé, ou « Livre Noir » du diocèse de Coutances, vers 1251-1280, les revenus de la dîme se trouvaient ainsi partagés entre deux seigneurs locaux Richard de Saint-Germain et Richard d’Orglandes. Cette situation évolue dans le premier tiers du XIVe siècle, lorsque le chapitre de la cathédrale de Coutances, soucieux probablement d’augmenter ses ressources, profitant aussi semble t-il du morcellement des droits hérités de Richard d’Orglandes, opère une série d’acquisitions dans la paroisse. En 1322, Jean d’Orglandes fit don à cet établissement de la dixième part des dimes qu’il avait en sa possession puis, par achat du 4 juillet 1328, le chapitre récupérait un autre tiers de dîmes, acquis de Guillaume d’Orglandes[7]. Le 16 octobre 1330, d’autres ayant droits cédaient encore en complément une autre part (le neuvième) de dimes[8]. L’abbaye des prémontrés de Blanchelande était également possessionnée à Orglandes au XIIIe siècle[9].
L’édifice s’impose au visiteur par la monumentalité de sa tour de clocher, accolée du côté nord à la dernière travée orientale de la nef, qui présente des contreforts plats à ressauts et de petites baies cintrées d’époque romane. Abritant sous un arc un autel orienté, la chapelle située au rez-de-chaussée de cette tour ouvre sur la nef par un arc de profil légèrement brisé qui repose sur des chapiteaux cylindriques à feuilles lisses pouvant dater du dernier tiers du XIIe siècle. Toute la partie haute de la tour, avec son couvrement en bâtière et ses hautes baies gothiques apparaît avoir été remaniée au XVe siècle. Une inscription en caractères gothique visible sur la face occidentale (Ex labore et diligentia M. Johannis le Tellier … loci maiori, 1613) se rapporte manifestement à une intervention architecturale postérieure, financée par le dénommé Jean Letellier. Une autre date portée de 1749, visible sur cette même face ouest de la tour, indique probablement une autre campagne de travaux. Plus énigmatique toutefois est une autre inscription, plus ancienne, qui figure en partie basse du mur oriental du clocher, probablement en remploi, mêlé avec quelques claveaux sculptés d’étoiles creuses d’époque romane. On y discerne sans certitude les caractères suivants, écrits en lettres capitales : « LIX BV. DO ».
L’enclos paroissial qui environne l’église conserve une très belle croix de cimetière du XIIIe siècle, sans doute la plus ancienne du Cotentin, formée d’un faisceau de colonnettes à efflorescence végétale, sommées d’un croisillon portant la figure du Crucifié.
La petite porte sud, ouvrant sur la nef, est coiffée d’un tympan roman, montrant l’image du Christ en gloire, siégeant dans une mandorle, bénissant d’une main et tenant de l’autre le livre des évangiles. Il est entouré des symboles des quatre évangélistes (le Tetramorphe), puis de saint Pierre et saint Paul. Comme l’indique l’attribut du livre, commun à chacune des figures, cette représentation intemporelle du Christ ressuscité, se voulait aussi un manifeste de l’autorité de l’église et de ses ministres, s’affirmant pour héritiers de la parole biblique. Le style de cette œuvre, de même que les autres éléments romans visibles dans l’église d’Orglandes, apparaissent indicatifs d’une période déjà assez avancée, non antérieure aux années 1150-1160 environ.
Cet édifice roman a déterminé le plan de l’église actuelle mais il a subi d’importants remaniements à des époques postérieures. L’arc triomphal séparant la nef et le choeur, présentant un profil nettement brisé, a été conservé dans son état du XIIe siècle et présente plusieurs chapiteaux sculptés, où se remarque des godrons, des formes végétales stylisées et un couple de femmes enlacées, illustration probable du thème de la Visitation. Le chœur à chevet plat de trois travées est voûté de croisées d’ogives reposant sur des colonnes à chapiteaux végétaux du XIIIe siècle, dont la fine ciselure évoque le modèle de la cathédrale de Coutances.
Lors de sa visite d’inspection du 21 aout 1759 (Dr. Guibert, Les églises du département de la Manche, vol. I, p. 618), l’archidiacre du Cotentin remarquait : « L’extérieur de l’église nous a paru en assés (sic) bon état. L’intérieur est fort propre. La contretable est neuve, le cœur bien lambrissé et les autres autels de l’église décorés fort proprement. Il y a suffisamment de vases sacrés, de livres et d’ornements. Les fonds (sic) baptismaux sont bien fermés ».
A la Révolution, selon le curé Edouard Marguerie (1831-1882) « L’église fut dévastée par une horde de misérables envoyés de Montebourg. Les cloches furent enlevées, les statues presque toutes mutilées ou brisées, les registres et les ornements publiquement brulés ».
Après 1836, la nef, devenue trop petite pour la population du village (alors en expansion en raison de l’ouverture de carrières de pierre calcaire) est prolongée vers l’ouest de 7,50 m. Une date portée indique pour ces travaux le millésime de 1846. L’ancienne façade, avec sa grande fenêtre divisée par des meneaux bifurqués et son portail orné à la clé d’un bel ange tenant un phylactère (XVe siècle), fut alors démontée et remontée plus à l’ouest, au devant de cette nouvelle travée. Cette façade présente aussi un une statue en fonte de saint Barbe, placée sur une console au dessus du portail, qui constitue pour sa part une addition de la fin du XIXe siècle.
En 1819, Charles de Gerville remarquait « les colonnes de la nef destinées à porter une voute qui n’a point été faite ». En 1889, un plafond de bois est de fait encore mentionné sur la nef, le voutement actuel n’ayant été réalisé qu’en 1890, comme l’atteste une date portée sur l’une des clefs de voûte de la structure néo-gothique actuelle. Cette restauration de la fin du XIXe siècle est également signalée par une inscription commémorative de la consécration du 24 avril 1892, effectuée par Mgr Germain, en présence de M. Cadic, maire.
(Julien Deshayes, mai 2014)
[1] Vita Ermelandi, éd. W. LEWISON, MGH, SRM 5, Hanovre-Leipzig, 1910, p. 674-710 ; Bruno JUDIC, "Quelques réflexions sur la Vita Ermelandi", Revue du Nord, t. 86, 2004, p. 499-510.
[2] Marie FAUROUX, Recueil des actes des ducs de Normandie de 911 à 1066, MSAN, t. XXXVI, Caen, 1961, n°147, p. 328-340.
[3] M. GUERARD, Cartulaire de l'abbaye de Saint-Père-de-Chartres, Paris, 1840, t. I, cap. III, p. 108-115
[4] Abbé LECANU, Histoire des évêques de Coutances depuis la fondation de l'évêché jusqu'à nos jours, Coutances, 1839, p. 533
[5] J.M. RENAULT, "Notes historiques et archéologiques sur les communes de l'arrondissement de Valognes", Annuaire du Département de la Manche, 42e année, Saint-Lô, 1870, p. 28
[6] François de BEAUREPAIRE, Les noms des communes et anciennes paroisses de la Manche, Paris, 1986, p. 172 et p. 114
[7] Julie FONTANEL, Le cartulaire du chapitre cathédral de Coutances, Saint-Lô, Archives départementales de la Manche, 2003, n° 143.
[8] Julie FONTANEL, op. cit., n°
[9] DUBOSC, Inventaire sommaire des Archives de la Manche, H. 517-519.