
I – Données historiques :
La propriété connue sous le nom de « la Prieuré », sur la commune de Morville, présente l’intérêt historique d’être assez précisément documentée par des sources anciennes publiées par Paul LECACHEUX ou conservées aux archives départementales de la Manche (nos remerciements à Jérémie Hallais qui nous en a facilité la consultation).
Cet édifice constituait en effet une propriété ecclésiastique, dépendance de l’hôtel Dieu de Coutances, et ce statut a permis la conservation des archives depuis son implantation au XIIIe siècle jusqu’à sa reconstruction à la fin de l’ancien régime.
Le premier acte identifié relatif au prieuré de Morville est constitué par une charte de donation de l’an 1219, par laquelle Herbert de Morville, seigneur de la paroisse, offrait la moitié de l’église de Morville à la maison Dieu fondée par son frère, Hugues de Morville, en sa cité épiscopale de Coutances. Cette donation fut confirmée la même année par Richard de Vernon, baron de Néhou et suzerain d’Herbert de Morville, puis une nouvelle fois en 1221, par l’évêque Hugues de Morville lui-même.
En 1274, cette première donation fut augmentée par la concession de 9 acres de terres offertes à l’hôtel-Dieu de Coutances par Robert Néel, de Morville et son épouse Agnès. Cet acte précise déjà l’existence de maisons, de « masures », de jardins et vergers, prés et terre labourables ou non labourables (« in domibus, masuris, gardinis, hortis, pratis et terris arabilus vel inarabilus »). Sans en reprendre la liste ici, notons que, durant le XIIIe siècle, les frères de l’hôtel Dieu parvinrent aussi à acheter ou se faire offrir d’autres terres ainsi que des rentes sur la paroisse de Morville, afin d’augmenter les revenus de leur établissement .
D’autres concessions antérieures ayant été effectuées au XIIe siècle en faveur de l’abbaye bénédictine de Saint-Sauveur-le-Vicomte, la paroisse de Morville se trouva dès lors partagée en deux cures . Cela signifie que le prélèvement des dîmes comme la desserte religieuse de la paroisse étaient partagés entre deux prêtres, le plus souvent des vicaires rétribués exerçant cet office en lieu et place des prêtes « habitués ». En 1332, le pouillé du diocèse de Coutances distingue ainsi la petite portion revenant au prieur de l’hôtel Dieu (« prior et fratres domus Dei Constanciensis sunt patroni ecclesie de Morevilla »), de la grande portion tenue par l’abbaye de Saint-Sauveur-le-Vicomte, et possédant un presbytère distinct (aujourd'hui "le Vieux presbytère).
En 1451, tout juste à la fin de la guerre de Cent ans, cette situation de partage de la paroisse entre deux établissements religieux engendra un conflit pour la perception des dîmes. Cette procédure précise de façon intéressante que l’un des curés de la paroisse était parti hors de Normandie lors de l’arrivée des anglais, soit 34 ans plus tôt ( !) . Ce différent eut pour conséquence la destruction de la grange aux dîmes, finalement ordonnée en 1458.
En 1477 un échange fut effectué avec Robert d’Anneville, seigneur de Morville, pour permettre aux frères du prieuré de récupèrer une terre jointive à leur domaine, dite se trouver au « Maubute » (auj. le Maubert).
Le 22 janvier 1663, un aveu fut rendu à la seigneurie (devenue fiefferme) de Morville par le sieur Jacques Hamel, prieur et curé du lieu. Celui-ci comprenait alors neuf acres de terre (environ 3 hectares) avec « les maisons dessus estant », qui se consiste « en maison manable, pressoir, grange, étables, compris deux petits jardins potagers et un petit jardin à pommiers (..) jouxte le curé de Morville pour la grande portion, le chemin de Morville au pont au Muey (Moy ?), et autres pièces de terre nommées le vieux presbytère, le petit Maubut (…), pièce de terre seiche nommée La Chaux ».
En 1752 une procédure fut entreprise par le prieur Pierre le Trouy, religieux de l’hôtel Dieu, souhaitant obtenir des paroissiens la restauration à leurs frais des bâtiments de son prieuré qui menaçait ruine. Au terme d’une longue procédure, le procès fut perdu par le prieur, contraint donc de financer lui-même les travaux. De fait, par une lettre du 23 octobre 1773, le prieur s’engageait finalement à faire restaurer « à ses frais et dépens le presbytère dudit Morville, suivant le plan qui en serait donné, selon l’usage, et ce d’ici 2 ans, et faire aussi reconstruire les basses cours dans 3 ans et demi, où les batiments du prieuré seront rendus parfaits à l’hôtel-Dieu ». La date portée visible en façade de la demeure actuelle « PLT 1775 » confirme la véracité de cette source écrite.
Après la Révolution de 1789 et la nationalisation des biens d’Eglise, la commune tenta de récupérer le domaine de l’ancien prieuré en menant à son tour un procès contre l’hôtel Dieu de Coutances. Etant reconnu qu’il s’agissait d’un prieuré dépendant d’une institution charitable, non supprimée par la nouvelle République, la commune fut finalement déboutée. La vente du prieuré par le diocèse ne survint finalement qu’en 1920, au profit de la famille Delarocque, demeurée en possession de cette propriété jusque dans les années 1990.
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II- Description sommaire :
Cet ancien site prioral est formé d’un logis principal dont la façade ouvre au nord-ouest sur une cour partiellement entourée de communs. L’ensemble des constructions est édifié en calcaire local.
Ainsi que l’indiquent les sources historiques et la date portée visible au-dessus de sa porte d’entrée, le logis fut entièrement reconstruit entre 1773 et 1775. Il présente une belle ordonnance classique, avec cinq travées ordonnancées sur deux niveaux plus un étage de combles. Les communs, au nombre desquels peuvent s’identifier l’ancien pressoir, la grange, les étables avec fenil à l’étage, ainsi qu’une remise et un puits couvert en dôme, conservent des éléments antérieurs au XVIIIe siècle, pouvant remonter pour les plus anciens aux XVe et XVIe siècles, mais ils ont été assez largement remaniés lors de la phase de modernisation des années 1773-1776.
A noter, au nord-est de la cour, la présence d’un petit logis secondaire sur deux niveaux, ne comportant que deux travées d’ouverture, avec une porte d’entrée particulièrement soignée, que l’on daterait volontiers, par le détail de ses ornements, de l’extrême fin du XVIIe siècle ou des premières décennies du siècle suivant. L’existence d’une chambre sur cellier dissociée du logis principal pourrait s’expliquer ici par la volonté de dissocier la résidence du prieur de celle des frères du prieuré.
A noter par ailleurs, la capacité que nous avons, grâce aux sources médiévales, à reconstituer la géographie du domaine prioral en le reportant sur le cadastre moderne. Son schéma d’implantation, dessinant une sorte de grand ovale irrégulier et intégrant aussi bien des portions de terres labourables au contact de l’habitation, que des terres de pâture et, probablement, un petit bois, apparaît représentatif des logiques médiévales d’exploitation domaniale.