L’état actuel de la recherche sur les fortifications de la guerre de Cent ans en Cotentin ne permet pas de prétendre à une approche exhaustive. En dépit de nombreuses publications historiques et d’un important travail d'édition de sources, assuré notamment par E. Izarn, Léopold Delisle et Michel Nortier, la lecture des comptes ou des chroniques de cette époque montre ses limites, ne laissant souvent apparaître que de manière ponctuelle la mention des différents sites fortifiés durant le conflit. Si les textes permettent par ailleurs de connaître la mise en défense des manoirs de Garnetot et d’Eroudeville, ou la présence d’une bastille à Pierrepont, combien d’autres sites seront, dans le même temps, restés plongés dans un complet silence documentaire ? Le recours à l’archéologie, encore peu présente sur ce terrain, ne saurait non plus compenser l’effacement des vestiges architecturaux, que des siècles de modernisations résidentielles ou de destructions pures et simples n’ont pas laissé survivre. Malgré ces limites, les sources publiées et les quelques édifices conservés suffisent à percevoir une activité constructive intense durant la période qui s'étend du débarquement anglais de la Hougue à la reprise définitive de Cherbourg en 1450.
Bibliothèque nationale de France, Français 2813, fol. 368, Bataille de l'Écluse
Parmi les arguments prêtés à Geoffroy d’Harcourt, lors du plaidoyer qui devait décider le roi Edouard III d’Angleterre à débarquer en Cotentin, le 12 juillet 1346, Froissart insiste sur le manque de défense des bourgs de la presqu’île et l’absence de défenseurs capables de résister à un débarquement. Cette image d’un Cotentin paisible, exempt des attributs belliqueux dont l’avaient préservé les nombreuses décennies de paix vécues sous les rois capétiens, est sans doute relative. Elle répond cependant aux informations pouvant résulter de l’observation des fortifications de cette partie de la Normandie. Tandis que l’époque ducale, marquée par des tensions féodales et plusieurs conflits de succession, a été propice à l’édification de châteaux, le siècle de saint Louis n’a laissé en la matière que de faibles témoignages. Il faut effectivement attendre le débarquement d'Edouard III sur le sol du Cotentin en 1346 pour observer, de manière évidente, le retour à des préoccupations défensives. Ce mouvement connaît sa plus grande expansion entre le traité de Mantes, en 1354, et l'échec de l'offensive française sur Cherbourg en 1380, lorsque les troupes navarraises, anglaises et françaises sont directement aux prises. Il se prolonge entre 1418 et 1450, durant la seconde période de la guerre, et connaît même des développements au-delà. C'est principalement sur le quatorzième siècle que nous souhaitons insister ici.
Répartition des fortifications et statut des fiefs
La répartition des fortifications de la guerre de Cent ans en Cotentin reprend largement la carte des implantations castrales antérieures. Les sites fortifiés impliqués dans les évènements militaires sont, dans leur majorité, des établissements déjà anciens. S'ils ont joué un rôle militaire dans le conflit c'est parce qu’ils avaient pu bénéficier d’une continuité d’occupation et d’entretien et qu'ils avaient, pour la plupart, préservé leur statut de lieux de pouvoir, soit en tant qu’honneurs féodaux privés ou que propriété du domaine royal. Il semble en revanche qu'aucun des sites castraux déclassés - et un bon nombre le furent lors de la conquête de la Normandie par Philippe Auguste - ait vu son rang militaire réactualisé. Le château de Brix, forteresse ducale attestée depuis la fin du Xe siècle, perd sa fonction militaire après 1204. Bien qu'elle ait servi ponctuellement de retranchement à une compagnie de routiers durant le printemps 1366, la forteresse du Homme, très ancienne propriété ducale passée au XIIe siècle au statut de seigneurie privée, ne figure pas parmi les édifices documentés pour leur remise en fortification. Les châteaux d’Olonde, de Lithaire, du Plessis et d'Aubigny, chefs de baronnies sous les Plantagenêt, ne font l'objet d'aucuns travaux de fortification ni n'accueillent de garnisons durant la guerre. Leur désaffectation est d'autant plus notable que ces différents sites présentaient tous un évident intérêt stratégique, que ce soit en raison de leur position au contrôle de routes et de passages des marais (le Plessis, Aubigny, Olonde) ou sur des hauteurs contrôlant de vastes horizons (Brix, Lithaire). La répartition des places fortes militarisées durant le conflit doit donc plus, dans ces différents cas, à la géographie des fiefs bannerets et des sièges effectifs de l'autorité royale qu'à des motifs immédiatement stratégiques. La même remarque peut s'appliquer aux édifices manoriaux fortifiés au XIVe siècle, qui ont généralement pour caractère commun leur appartenance à des seigneurs locaux ayant exercés des offices militaires de premier plan durant le conflit. Le rôle joué par le manoir de Magneville - qui fit en 1364 l'objet d'un siège dirigé par Bertran Duguesclin - est notamment à mettre en relation avec la personnalité de Jean de Magneville, un proche du Maréchal Robert Bertran qui fut successivement capitaine du château de Néhou en 1367 puis du château de Bricquebec à partir de mai 1368. Le manoir d'Eroudeville, pris par les anglais en 1369 et repris l'année suivante au terme d'un siège de quinze jours mené par une coalition de troupes françaises et navarraises appartenait à Jean de la Haye, "chevalier, commis et institué en 1367 à la garde du chastel de Valloignes". Le manoir de Garnetot, dont la proximité immédiate du château de Saint-Sauveur semblerait suffire à justifier la mise en défense par l'occupant anglais, appartenait à Jehan de Tilly, officier du pouvoir navarrais "lieutenant de Monseigneur le captal" et capitaine des Ponts d'Ouve. C'est le rang et l'implication des tenants de fiefs qui constituait, à l'échelle des châteaux et des manoirs, le facteur décisif des travaux de fortifications.
La reprise des anciennes places fortes
La reprise en main de ces anciennes places fortes n’eut par ailleurs pas partout les mêmes conséquences. Si certains sites font l'objet de reprises considérables (Bricquebec), voir d'une construction ou d'une reconstruction intégrale (Valognes, Saint-Sauveur, Regnéville), d'autres n'ont apparemment reçu que des aménagements plus secondaires, préservant au moins globalement leur morphologie antérieure. Il est assez paradoxal que cette remarque semble pouvoir s'appliquer en priorité à la forteresse de Cherbourg, qui fut de loin le château du Cotentin le plus âprement disputé entre les belligérants. L'histoire de cet ancien castrum antique, ayant fait l'objet d'une occupation continue depuis le IVe siècle jusqu'à l'époque ducale, a déjà été suffisamment traitée pour qu'il ne soit pas nécessaire d'y revenir longuement. Devenu après 1354 un centre important du pouvoir navarrais, il constitue à partir de 1378 un bastion de la couronne d'Angleterre, réduisant durablement à l'impuissance les armées du roi de France. Si la disparition totale de l'édifice en empêche désormais l'analyse, il existe cependant un compte de travaux effectués entre les termes de Pâques 1347 et 1348, attestant très tôt l'existence d'un "donjon", abritant les appartements de la châtelaine, ainsi qu'une cuisine, un four et une dépense. La "chambre au châtelain", la "chambre des loges" et la "chambre des écuyers", également signalées, occupaient probablement le même édifice. Ce donjon était aussi muni de bretèches et flanqué de quatre tours, la première, nommée " la "tour Saint-Michel", logeant une chapelle dédiée à l'archange. Une seconde tour était située "devers la meir" et les deux autres "devers la ville". Le compte de 1348 énumère encore un total de sept tours de flanquement autour de l'enceinte de la cour, ainsi que la "porte de la grève", la "porte de dessus Paris", la "porte de devant le marchié", le "pont Jehan Martin", des forges et de nombreuses maisons logeant officiers et artisans. Les sources postérieures relevées par Madeleine Masson d'Autumme et la description de Robert Blondel au XVe siècle ne complètent que sommairement la vision offerte par ces documents. La description qu'ils contiennent s'accorde également avec le plan dressé par Vauban, repris au XIXe siècle par Victor le Sens, et correspond aussi à deux vues en élévations antérieures à sa destruction. Le "donjon" appartenait à une typologie originale car il était constitué par une haute enceinte formant un quadrilatère irrégulier et abritant une cour adossée de bâtiments charpentés. La coupe de l'une des grosses tours d'angle circulaires visible sur le plan le Sens, restitue une structure divisée en trois niveaux voûtés, de profil très "phillipien", sans qu'il soit possible d'en situer plus précisément la datation. Il semble en tout cas que le château de Cherbourg, qui était assez important en 1346 pour dissuader Edouard III d'en entreprendre le siège, constituait lors du déclenchement du conflit un ensemble déjà suffisamment adapté et développé pour ne pas nécessiter de profonds remaniements.
Le phénomène de réutilisation et d'adaptation à des structures anciennes est également perceptible à travers un petit groupe d'édifices de type Shell Keep, une typologie castrale d'époque romane bien représentée en Clos du Cotentin. Le château de la Haye-du-Puits est le seul à conserver en élévation les vestiges d'une structure de ce type. L'édifice était constitué par une petite forteresse sur motte, siège d'une baronnie constituée au XIe siècle au profit d'une famille de ministériaux du comte de Mortain. Bien que son implication dans la guerre de cent ans ne soit pas autrement attestée, il existe une quittance du 17 septembre 1375 concernant le versement de 200 francs or, reçus par Henri de Colombières pour l'aider « à faire redrecier et réparer son chastel de la Haie du Puis», dans le cadre du siège de Saint-Sauveur-le-Vicomte. Confisquée et occupée par les anglais à compter du 1er avril 1418, la forteresse fait en 1435 l'objet de nouveaux frais de restauration et d'approvisionnement. L'observation des vestiges subsistants est aujourd'hui limitée à une tour porte, qui était initialement sertie dans une petite enceinte circulaire. Son rez-de-chaussée voûté, ouvrant de plain pied vers l'extérieur par un portail précédé d'une herse, communiquait dans le même axe avec l'intérieur de la cour et avec deux bâtiments adjacents adossés à l'enceinte. L'accès au second niveau de la tour se faisait initialement par l'intermédiaire de ces bâtiments accolés, qui devaient en conséquence loger les circulations verticales nécessaires. Une rapide analyse montre que l'escalier en vis actuel, assurant la communication entre chacun des quatre niveaux de l'édifice, ne desservait initialement que les deux niveaux supérieurs. Des traces de reprise indiquent aussi que son prolongement en partie basse appartient à une phase de reprise tardive, manifestement postérieure à 1500. D'autres remaniements du XVIe siècle sont perceptibles au niveau de certaines fenêtres et, de manière plus hypothétique, dans l'insertion d'un nouveau conduit de cheminée destiné à chauffer les étages 1 et 3. A l'exception de ces éléments, la structure des parements et la typologie des modénatures en place sous ces remaniements apparaissent essentiellement datables du XIVe siècle. Si l'ossature du château telle qu'on l'apprécie sur des gravures et dessins effectués au début du XIXe siècle est restée caractéristique d'une forteresse anglo-normande de type Shell Keep, toute la distribution et la structure même de l'édifice ont été affecté par les travaux de reprise effectués durant la guerre de Cent ans.
Le château disparu de Néhou se classait dans une typologie d'architecture castrale identique. Siège depuis le XIe siècle d'une importante baronnie, celui-ci fut directement impliqué dans les événements de la guerre de Cent ans. Guillaume de la Haye, son propriétaire, était l’un des principaux officiers de Charles le Mauvais en Cotentin et son capitaine, Guillaume aux Epaules, d'abord au service de Charles de Navarre, était « tourné françoiz » à son détriment en livrant en 1364 Néhou et le Pont-d’Ouve à Bertrand du Guesclin. Le 4 juin 1366, Guillaume de la Haye en céda la propriété au roi Charles V, qui renforçait ainsi son implantation dans la presqu'île. Comme l’a montré Anne Vallez, cette acquisition s’inscrivait dans une patiente politique de noyautage du Clos du Cotentin, alors dominé par les navarrais. L’acte d'échange mentionne rapidement l'aspect de l'édifice, situé au cœur des marais de l'Ouve, qui était entouré d'un vaste étang et dont le donjon et la basse-cour étaient protégés par une double rangée de fossés précédée de deux tours. La disparition intégrale de l'édifice empêche toute analyse précise, mais les sources écrites et la documentation iconographique permettent de restituer avec quelque précision les dispositions de ce château sur motte, formé d’une enceinte circulaire plus haute que large, abritant des bâtiments résidentiels et ouvrant par une imposante tour porche (Ill. 7). Les comptes royaux du XIVe siècle mentionnent des travaux effectués sur la charpente de la chapelle ainsi qu’aux « guerniers sur la grande salle pour mettre les garnisons ». Un certificat de l’année 1394, relate encore le paiement effectué pour la réparation des « guérites de dessus la porte du chastel de Neahou et du donjon ». Les mises en défense répertoriées ont donc entraîné des modifications architecturales, mais elles n'ont pas effacés, ici non plus, la physionomie générale d'une construction représentative d'une typologie architecturale du XIIe siècle.
Le château de Carentan, détruit en 1689, s'inscrivait dans un schéma de développement assez semblable. Au regard des sources écrites et des plans antérieurs à sa destruction, cette ancienne forteresse ducale appartenait aussi à la typologie des Shells-Keeps cotentinais d'époque romane. La chronique de Froissart la qualifie de "moult bon château" et relate comment, défendu par "grand foison de soudoyers", elle fut prise par Edouard III puis brûlé lors de la grande chevauchée de 1346. Carentan est encore assiégé en 1356, en mai 1364 et en avril 1378. Un devis de travaux de l'année 1439, concernant "certaine maçonnerie requise et necessaire estre faite pour le roy nostre sire en son chastel et forteresche de Carenten" offre précisément à son propos une illustration instructive sur les techniques de consolidation et de remise en fortification usitées durant la guerre de Cent ans. Une portion d'enceinte, de 40 pieds de longueur et 32 pieds de haut, "joignant et fermant par manière d'enclavement" entre deux tours est entièrement reprise ; une vieille tour "cassée et derompue", située "environ le milieu d'icellui paon de mur" est démolie ; l'enceinte est augmentée en épaisseur par un renfort de maçonneries de 4 pieds et demi, greffé à l'ancienne muraille qui est préalablement "escorchie par le dehors pour mieux iceulx deux muraillez joindre et prendre l'une avecque l'autre" ; des machicoulis sont "enclavez" au sommet du mur, par l'insertion de trente corbeaux saillants reliés par des sommiers de pierre, entre lesquels "seront faites des meurdrières regardant et gestantez au pie et dehors de la dite muraille". L'explication de ces reprises en sous œuvre manifeste une maîtrise consommée de l'art consistant à faire du neuf avec de l'ancien. Elle aide l'archéologue à mieux appréhender un procédé, sans doute très général, consistant à maintenir l'ossature des bâtiments restaurés dans leurs volumes anciens tout en opérant des modifications profondes des maçonneries.
Mais, qu'il s'agisse de la Haye-du-Puits, Néhou ou Carentan, il est probable que la formule du Shell Keep roman, identifiable à une sorte de vaste donjon résidentiel, offrait aux occupants du XIVe siècle une structure tout à fait acceptable. Conjuguant de bonnes qualités défensives avec une capacité importante d'hébergement les structures de ce type purent faire l'objet de remaniements importants sans nécessiter une complète redéfinition architecturale.
La question des reprises architecturales effectuées durant la guerre de Cent ans sur des édifices antérieurs se pose de manière différente avec le château de Bricquebec, autre forteresse ancienne largement remaniée au XIVe siècle. Mal documenté par les sources écrites, cet édifice présente en revanche l'intérêt d'avoir conservé l'essentiel de ses dispositions médiévales. Lors du déclanchement de la guerre de Cent ans Bricquebec était en possession du chevalier Robert Bertran, puissant baron normand, fidèle de Charles le Bel et de Philippe VI de Valois. Les rivalités du Maréchal Bertran et de son voisin Geoffroy d'Harcourt, baron de Saint-Sauveur-le-Vicomte, sont à l'origine de la rébellion de ce dernier, de son soutien au roi d'Angleterre et de l'installation durable de troupes anglaises dans le château de Saint-Sauveur. Intégré en 1354 à l'apanage de Charles de Navarre, le château de Bricquebec fait l'objet d'une habile démarche de récupération de la part du roi Charles V qui parvient en 1366 à y rétablir ses propres garnisons. La livraison de "douze milliers de traits, vingt quatre arbalestes simples et six arbalestes à haucepié, avecques les baudriers et seize pavaz" atteste en mai 1367 l'occupation française de la forteresse. Exclu de ce fait du traité de paix anglo-navarrais passé en novembre 1370, le "chastel et maison fort de Bricquebet" échappe de justesse, en 1372, à une attaque menée par la garnison de Saint-Sauveur. Malgré cette activité militaire, les mentions de travaux et les informations relatives à l'état de l'édifice sont à ma connaissance presque inexistantes. Un mandement royal du 12 février 1367, prescrivant de "refaire les garites, palis et autres emparements nécessaires à la garde et sureté du château de Bricquebec au Clos du Cotentin" est l'une des rares sources explicite dont je dispose.
Le château de Bricquebec constitue un ensemble de vaste proportion, présentant une évolution architecturale trop complexe pour être envisagée ici dans son ensemble. L'organisation de la cour selon un tracé ovalaire, avec une motte positionnée en débord vers le sud-ouest, y maintient dans ses grandes lignes l'assise d'une fortification primitive en terre. La spectaculaire aula à bas-côté, associée primitivement à une camera et une chapelle, appartient aux dernières décennies du XIIe siècle. Mais l'observation attentive de l'édifice suggère que la construction de l'enceinte en pierre avec ses bâtiments accolés et ses tours de flanquements résulte pour une large part d'une phase d'aménagement du XIVe siècle. Une insertion datant de cette période est en particulier repérable au niveau de grande tour d'angle sud-est, dite "tour de l'Epine", qui formait un ensemble solidaire avec un beau bâtiment résidentiel édifié en prolongement du mur pignon oriental de la aula. Ce logis comptait deux niveaux d'élévation avec pièce haute sous charpente apparente, éclairés par de hautes fenêtres à trilobes ajourés. La distribution verticale du logis s'opérait par un escalier en vis logé dans la tour de l'Epine, qui abritait également des pièces de retrait et communiquait à son tour avec des latrines logées dans l'épaisseur du mur d'enceinte sud. La portion de courtine correspondante se limitait dans son état du XIVe siècle à enclore l'espace situé entre la tour de l'Epine et le mur pignon de la aula romane, dont la longue façade postérieure, équipée d'une coursière, formait prolongement du rempart. Côté nord, le premier étage du logis communiquait avec le chemin de ronde de la courtine, rejoignant deux autres tours circulaires.
L'ouvrage d'entrée à deux tours polygonale situé en prolongement, ainsi que les bâtiments d'habitation accolés aux murs d'enceinte de part et d'autre, peuvent également être datés du XIVe siècle. Sur la portion d'enceinte formant liaison entre la poterne nord et la tour du chartrier se remarque en particulier la trace d'un bâtiment sur deux niveaux, avec une salle haute équipée d'une cheminée et de fenêtres à banquettes de pierre. Les chapiteaux végétaux placés en console sur les piédroits de cette cheminée autorisent une comparaison stylistique étroite avec ceux de l'église paroissiale Saint-Jacques de Montebourg, édifiée entre 1318 et 1329.
Mais il est encore bien plus notable de constater que la haute tour maîtresse conserve également, à l'état résiduel, des vestiges d'une construction datant également du second tiers du XIVe siècle. Il s'agit aujourd'hui un haut ouvrage à onze pans, implanté sur le sommet d'une motte artificielle. Le rez-de-chaussée aveugle donne accès à un puits abrité sous un habitacle saillant de maçonneries servant également à loger un escalier en vis conduisant au premier étage. Les niveaux supérieurs étaient plafonnés, à l'exception de la plate-forme sommitale du donjon, portée sur une voûte d'arêtes à multiples voûtains. L'analyse de la structure du XIVe siècle est compliquée par une importante reprise architecturale effectuée au siècle suivant, à l'époque où l'édifice appartenait à la famille d'Estouteville. Les parois de la salle du premier étage ont été alors intégralement épaissies par un doublage des maçonneries internes. Un escalier en vis a été logé dans l'épaisseur du mur pour desservir les niveaux supérieurs et assis dans l'ébrasement d'une fenêtre à meneau, désormais murée. Deux autres fenêtres identiques, ouvrant vers le sud et le nord, ont été obstruées et ne se voient aujourd'hui que de l'extérieur de l'édifice. Une porte latérale ouvrant vers le sud a également été rebouchée. La cheminée actuelle a été transformée et maladroitement intégrée sous le foyer du niveau supérieur. Les latrines, dont seul le débouché extérieur est encore visible, ont été noyées dans les maçonneries. Les éléments de modénature conservés sous ces reprises, tous situés sont en connexion avec le gros œuvre du donjon, sont cependant bien attribuables au XIVe siècle. La formule des grandes fenêtres à meneau présentant un profil en biseau très évasé correspond à une typologie de modénature relativement tardive, qu'il convient plutôt de situer dans la seconde moitié du siècle.
La reconstruction d'une bonne partie de l'enceinte et des bâtiments résidentiels du château de Bricquebec doit donc être mise en relation avec la personnalité du Maréchal Robert Bertran. Nommé en 1345 "capitaine commis par le Roy aux frontières de la Mer, depuis Honefleu jusques en Bretagne", gratifié d'une fortune assez considérable, ce dernier était particulièrement à même d'entreprendre, dans la première moitié du XIVe siècle, une importante campagne de construction, associant étroitement préoccupations défensives et exigences résidentielles.
Les nouvelles fortifications
Ces grandes tendances se retrouvent de façon manifeste au château voisin et rival de Saint-Sauveur-le-Vicomte, qui est parmi les édifices conservés le représentant le plus pur de l'architecture militaire de cette période. Propriété héréditaire de Geoffroy d'Harcourt, solidement tenu par les anglais depuis 1356 jusqu'au grand siège d'artillerie de 1375, Saint-Sauveur-le-Vicomte est aussi le château le plus emblématique de la guerre de Cent ans en Cotentin. L’un des principaux jalons concernant sa construction est fourni par des lettres de rémissions, octroyées à Geoffroy d'Harcourt par Philippe de Valois en date du 21 décembre 1346, et autorisant « que le chastel de Saint-Sauveur, que il souloit avoir et qui a esté abatuz de nostre commandement, il puist faire reffaire toutes foiz que il lui plaira ».
Les travaux entrepris par Geoffroy d'Harcourt se sont ensuite prolongés durant l’occupation anglaise de la forteresse. Un acte du 11 septembre 1361, de peu postérieur à la prise de possession du château par John Chandos, fait notamment état d’une somme de 600 royaux, versée par plusieurs paroisses environnantes pour le rachat des travaux à effectuer sur les remparts. Une chronique anonyme souligne également, en 1368, le rôle de Jean Chandos, "qui fist moult amender le chastel de Saint-Sauveur-le-Vicomte". La forteresse est abondamment citée dans les comptes royaux postérieurs au siège de 1375. Dès le 16 août 1375 une allocation est versée « pour tourner et convertir és réparacions du dit chastel et de la forteresce de la dicte ville, qui durant le (dit siège a esté) grandement démolie et empirie». Cette même année d'autres paiements concernent le travail des "maçons qui ont ouvré à maçonner et araser les tours et la muraille des diz chastiaux, à faire un huys au dongon à descendre sur les murs et pour faire une trappe en la voute d'icellui dongon, pour descendre au bas estage". Il est aussi fait état de travaux de charpente effectués sur la tour "de l'échauguette" et sur "toutes les autres tours du dit grant chastel", ainsi que sur les "deux tours de la porte du petit chastel" (i.e. la basse cour). L'hypothèse d'une reconstruction massive de l'édifice entre 1356 et 1375 est implicitement confirmée par un document inédit du XVe siècle, la « prisée » de 1473. Baptisant certaines ouvertures de "fenestres anglesques", ce document évoque successivement trois des tours de la haute cour sous le nom d’officiers établis par l’occupant anglais durant cette période.
Le développement considérable donné aux systèmes de courtine et d'enceintes successives constitue le premier aspect marquant de cette construction. L'ensemble regroupait initialement trois entités distinctes, respectivement qualifiées dans les sources médiévales de "grand chastel", de "bas chastel" et de "basse-cour". Le "bas chastel" qui précède la haute cour n'a conservé que les vestiges de trois tours de flanquement et son ouvrage d'entrée, très restauré après 1944. Elle abritait aussi une chapelle d'ancienne fondation, une salle avec "une chambre au bout de la dicte salle", ainsi qu'une cuisine, au moins deux autres logis et des étables. Le terme de "basse cour" désignait par opposition la partie basse du bourg, qui était enclose dans une enceinte pour partie construite en maçonnerie et en bois, et défendue par quatre portes en pierre.
La tour maîtresse de plan quadrangulaire reste cependant le principal attribut de la construction. La confusion que sa datation a suscitée chez certains auteurs voulant l'attribuer à l'époque romane est révélatrice d'un certain archaïsme de l'édifice, formé par des volumes trapus et épaulé de puissants contreforts. Mais sur un plan archéologique, l'ensemble des ouvertures, des "lavatoires", les autres éléments de modénature et l'escalier en vis sont clairement attribuables au XIVe siècles et figurent bien en connexion avec le reste des maçonneries. L'édifice doit plutôt être considéré comme représentatif d'une démarche d'intégration étroite des fonctions de défense, de résidence et d'apparat. La qualité de mise en œuvre des matériaux, l'abondance de la pierre de taille et le soin apporté au traitement des aménagements intérieurs révèle en effet une construction particulièrement coûteuse.
Le terme de tour résidence, qui prend avec le donjon de Saint-Sauveur toute sa signification, pourrait s'appliquer aussi aux tours de flanquement construites au XIVe siècle sur le périmètre de la haute cour. Chacune constituait une entité d'habitation complète, regroupant en les superposant les trois espaces fonctionnels de base de l'habitat médiéval : cellier, salle et chambre. L'articulation entre défense et résidence se perçoit non seulement dans l'intégration des espaces d'habitation à l'intérieur des tours, mais également dans l'adaptation des systèmes de circulation. L'étage supérieur communiquait directement avec le chemin de ronde du sommet de la courtine, tandis que d'autres passages sur galeries ou à l'intérieur de gaines permettaient une circulation continue sur le chemin de ronde, tout en évitant aux défenseurs de pénétrer dans l'intimité des pièces d'habitation.
Le donjon de Saint-Sauveur illustre de manière remarquable le phénomène du renouveau des tours résidences qui, comme l'a bien mis en valeur Jean Mesqui, est caractéristique des ensembles castraux du XIVe siècle. Dans son contexte local la tour maîtresse de Saint-Sauveur peut notamment être comparée au donjon de Reigneville-sur-Mer, un autre exemple de grande tour maîtresse de plan quadrangulaire, édifiée au XIVe siècle sous la domination navarraise.
Celle-ci abritait initialement deux étages portant sur un rez-de-chaussée voûté d'arêtes doté d'une cheminée et de deux fenêtres en arc brisé. Le second niveau, également voûté et largement éclairé par de grandes ouvertures, communiquait avec les niveaux supérieurs par un escalier en vis logé dans un massif saillant formant contrefort d'angle. Le troisième niveau ouvrait sur une galerie extérieure en bois par deux portes en plein cintre. Son voûtement, initialement conçu de manière identique à celui des niveaux inférieurs, a été supprimé et remplacé par un plafond de bois de moindre hauteur lors d'une phase de remaniement du XVe siècle, marquée par l'insertion d'un quatrième niveau d'habitation. L'état de ruine partielle du bâtiment empêche d'en restituer l'intégralité de la distribution et des aménagements internes. En dépit de sa monumentalité celui-ci se signale toutefois par la sècheresse de ses modénatures. Pour un programme similaire, les capacités d'approvisionnement en pierre de taille et le coût de la construction de la tour maîtresse de Reigneville furent manifestement bien moindres que ceux qui ont présidé à l'édification du donjon Saint-Sauveur-le-Vicomte. Une autre tour quadrangulaire du XIVe siècle existait au château de Hambye, propriété héréditaire de la famille Paisnel.
L'édifice, qui n'est connu que par des gravures du début du XIXe siècle, présente une structure à quatre niveaux, assez faiblement éclairés et couronnés par des mâchicoulis. L'accès se faisait par une porte de plain-pied. Son intérêt principal réside dans son plan à angles arrondis formant l'amorce de tourelles, qui servaient probablement à loger un escalier en vis et des conduits de cheminées ou de latrines. Un plan assez comparable, mais avec cette fois-ci de véritables petites tours d'angles évoquant d'assez près le modèle du château de Vincennes, été relevé sur la tour de la motte Saint-Clair de Remilly-sur-Lozon. Au château de Gavray, des fouilles archéologiques menées dans les années 1980 ont permis d'attribuer à l'occupation anglaise de la première moitié du XVe siècle la construction d'une tour maîtresse quadrangulaire avec division intérieure par un mur de refend.
Mais l'une des plus imposantes tours maîtresses datant de la guerre de Cent ans en Cotentin fut probablement celle du château de Valognes. La destruction totale de l'édifice en 1689 empêche malheureusement de s'en faire une idée précise. Les plans du XVIIe siècle montrent un édifice qui, depuis le milieu du XVe siècle, avait été considérablement modernisé et adapté aux nouvelles techniques de sièges. Le donjon quadrangulaire, identifiable dans l'angle nord-est de l'enceinte, présentait un décrochement, correspondant à une division interne par un mur de refend. Il abritait un puit et était flanqué sur un angle d'un escalier en vis logé dans une tour circulaire hors-œuvre. Nous savons par un procès verbal de visite de 1618 et des témoignages relatifs à sa destruction qu'il mesurait 8 toises sur 5, comportait un rez-de-chaussée voûté abritant une cuisine munie d'une cheminée et d'une armoire, et qu'il possédait à l'étage des chambres équipées de fenêtres et de latrines. Si ces éléments définissent le donjon de Valognes comme un exemple de tour résidence d'assez notable importance, seules les sources écrites permettent malheureusement d'en évaluer la date potentielle de construction. Celles-ci démontrent principalement que la qualification castrale du site n'est pas antérieure au XIVe siècle, et qu'elle résulte pour l'essentiel d'une mise en fortification entreprise après le débarquement anglais de 1346.
Cité pour la première fois comme "curtis" dans un document de c.1026, le domaine ducal de Valognes constitue un lieu de résidence princier fréquemment attesté, comprenant sous les Plantagenêt aula, camera et capella. Dénommé "Villa" ou "Praepositura" dans les rouleaux de l'échiquier, il conserve durant cette période, une qualification domaniale de grand manoir rural, lieu d'administration d'une ferme ducale de la taille d'un petit pagus. Jamais mentionné après 1204 au nombre des forteresses capétiennes, Valognes est encore désigné sous le titre de manoir en 1332, et jusque dans les chroniques relatives à la chevauchée anglaise de 1346. Cette situation n'évolue qu'après le traité de Mantes de 1354 et l'inféodation du Cotentin au profit de Charles de Navarre. Le rôle central de Valognes dans l'administration navarraise est souligné dès l'année suivante par la signature d'une convention au traité de Mantes. Les premières mentions de la forteresse ou du "chastel" apparaissent ensuite, au terme de dix années d'occupation, dans les chroniques relatives au siège entrepris par Bertrand Duguesclin en 1364. Le récit de Cuvelier évoque le "chastel et riche donjon", la "forte mansion" et la "tour qui fut hault levée", que l'on ne pu miner "car li chastiaux estoit dessus roche séant". Les comptes de travaux menés durant la même année pour le roi de Navarre mentionnent uniquement "la grosse tour nuefve et la ronde", ainsi que la "tour devers Loquet" devant contenir "certains mesnages" édifiés par des charpentiers commis à cet effet. D'autres travaux sont attestés au cours des années suivantes et durant l'occupation anglaise de la première moitié du XVe siècle, mais le contenu des quittances de cette période offre peu de nouvelles informations sur la composition de l'édifice. Il en résulte à mon sens que la mise en défense du manoir ducal de Valognes et la construction de son donjon quadrangulaire doivent être prioritairement rattachés à l'occupation navarraise du XIVe siècle. Les sources le concernant sont donc de nature à confirmer le renouveau d'intérêt porté durant cette période à la formule des tours résidences quadrangulaires.
Manoirs fortifiés et bastides.
L'omniprésence de la tour résidence et son rang d'attribut fondamental des édifices fortifiés durant la guerre de Cent ans se vérifiaient aussi à l'échelle de constructions plus modestes, ayant simplement rang de manoir fortifié ou de "bastide". Garnetot est à notre connaissance le seul de ces manoirs à conserver des éléments architecturaux pouvant être datés avec précision de l'époque de la guerre de Cent ans. Le vaste logis seigneurial des XVe et XVIIe siècle est en effet adossé côté est à une haute tour quadrangulaire, dont l'existence se rattache aux nombreuses mentions du "château" ou du "fort" occupé en 1369 par les anglais. Cette tour abrite quatre niveaux d'habitation superposés sous un étage de comble, comprenant cheminées, fenêtres à coussièges et latrines. Si la plupart de ses percements actuels sont le fruit de remaniements, sa structure maçonnée à contreforts plats suggère une comparaison immédiate avec le donjon voisin de Saint-Sauveur. A une échelle plus comparable, elle doit aussi être rapprochée de la tour du manoir de Maisy en Bessin, fortifiée dans le courant du XIVe siècle, et dont subsistent aujourd'hui des vestiges correspondant à une petite structure résidentielle de plan quadrangulaire assez similaire. Ces constructions doivent être considérées comme représentatives de l'équipement militaire de base d'une forteresse de petite importance.
A ce titre, ce type de manoirs à tour fortifiée ne présente pas seulement des points communs avec les châteaux contemporains, mais aussi avec un autre type de fortification, les "bastides", dont la multiplication constitue un phénomène marquant de la période de la guerre de Cent ans en Cotentin. La spécificité principale de ces édifices tient au fait qu'ils n'étaient pas liés à des implantations seigneuriales et que leur construction relevait strictement de la stratégie militaire. C'est dans des contextes de sièges que sont notamment signalées les bastides édifiées en 1378 à Gavray et dans l'abbaye du Vœu de Cherbourg. Les mandements de Charles V attestent aussi leur utilisation massive pour la préparation de l'attaque de Saint-Sauveur-le-Vicomte, dénombrant en 1375 "les bastides du Pont l'Abbé, de Pierrepont et de Beuseville, qui premièrement furent emparéez et fortifiéez pour destraindre nos ennemiz demeurant lors au dit lieu de Saint Sauveur, comme ès places qui furent fortifiéez devant le dit lieu de Saint Sauveur". Exploitant au mieux la topographie locale, la stratégie employée par Charles V visait clairement à contrôler l'accès à la presqu'île en fermant chacun des principaux points de franchissement des marais qui la délimitent. La dénomination des sites de Pierrepont et du Pont l'Abbé, auxquels il faut joindre aussi la bastide des Ponts d'Ouve, atteste assez l'opportunisme de leur implantation et leur association étroite aux axes de pénétrations du "Clos du Cotentin". Si bien d'ailleurs que cette préoccupation était en fait apparue dès avant 1375 ; la formulation des mandements royaux risque ici de masquer l'ancienneté de fortifications âgées pour certaines de plusieurs décennies lors du siège de Saint-Sauveur. Si la bastide des Ponts d'Ouve a pu être rattachée de manière convaincante à des travaux de mises en défenses engagés en 1346, les bastides du Pont-l'Abbé et de Beuzeville sont toutes deux attestées depuis au moins 1361. La durée de subsistance et d'entretien de ces édifices montre donc qu'il faut distinguer, au sein de cette typologie, les constructions importantes correspondant à des implantations durables, des fortifications plus secondaires et provisoires. Hélas, aucun des édifices ainsi désignés dans les sources du XIVe siècle ne subsistant aujourd'hui, cette réflexion est désormais privée de fondement archéologique. La seule construction documentée par une iconographie clairement identifiée est la bastide de Beuzeville, qui ne fut détruite qu'en 1928.
Les descriptions anciennes ainsi que les dessins de Charles de Gerville et les photographies qui en sont conservées permettent de restituer une structure adoptant l'élévation d'une petite tour quadrangulaire, divisée en trois niveaux d'élévation distribués par un escalier en vis menant également à une plate forme sommitale ceinturant la toiture. L'accès se faisait semble t-il par une porte de plain-pied protégée par un pont-levis. Cette représentation est complétée par une source antérieure, correspondant au détail d'un plan terrier de la paroisse de Picauville levé en 1581. Ce document présente l'édifice avec une élévation verticale plus prononcée, en dépit de l'arasement visible de ses maçonneries sommitales, et permet de distinguer l'amorce d'une échauguette d'angle, dont la fonction était certainement de loger un escalier en vis les niveaux supérieurs.
La bastide de Beuzeville apparaîtrait représentative d'un principe très minimaliste de fortification turriforme, si cette vue du XVIe siècle n'offrait aussi l'intérêt de faire figurer un important édifice de type manorial, relié à la tour par un pont dormant en pierre à trois arches. Sans qu'il soit possible de dater avec précision la construction figurée sur ce document, l'association tour/logis doit à mon sens être tenue pour indicative de l'échelle réelle de fonctionnement de l'édifice dans son état d'origine. Tout en permettant à nouveau d'insister sur la vogue des tours quadrangulaires en Cotentin, l'exemple de Beuzeville doit donc aussi conduire à ne pas sous-estimer l'importance monumentale que pouvaient revêtir certains des édifices qualifiés de bastides dans les sources du XIVe siècle. Les sources écrites relatives au Pont l'Abbé, nommant indifféremment la construction de "bastide", de "forteresesce" ou de "chastel", sont à ce titre suggestifs d'indécision lexicale. D'autres documents comptables, évoquant cette fois la fortification de la "ville" du Pont l'Abbé, permettent même d'entrevoir l'existence d'un ensemble défensif comprenant tout ou partie du bourg voisin. Si la notion de bastide pouvait, dans son acception la plus restreinte, ne désigner que de modestes bastions défensifs, elle s'appliquait aussi à d'importants ensembles fortifiés (TRANSFERT DE PHRASE, initialement ci-dessous). Concernant les Ponts d'Ouve, la mention de travaux effectués en 1439 sur un "château" comprenant "grosse tour et danjon" augmenté d'une "basse-cour", est également de nature à faire mieux évaluer la monumentalité de ces bastides.
C'est pour partie dans le contexte de la vogue remarquable du principe de la tour maîtresse au sein des dispositifs militaires constitués au cours de la guerre de Cent ans qu'il conviendrait d'envisager la question, laissée de côté ici, des églises à clocher fortifié, voir même d'évaluer les origines de l'engouement pour les tours qui caractérise les constructions manoriales des XVe et XVIe siècles en Cotentin. Nous laissons également de côté la question des fortifications urbaines, dont l'essor remarquable au XIVe siècle nécessiterait aussi une étude à part entière.
Julien Deshayes, avril 2005
(tous droits réservés, Pays d'art et d'histoire du Clos du Cotentin)
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